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livre XIX. — LE SOUVERAIN BIEN.

justice, on avait dit que sans elle une république ne pouvait ni croître ni s’établir, puisqu’il est injuste que des hommes soient assujétis à d’autres hommes, on répond, au nom de la justice, que cela est juste, parce que la servitude est avantageuse à ceux qui la subissent (quand les autres n’en abusent pas), en ce qu’elle leur ôte la puissance de mal faire. Pour appuyer cette raison, on ajoute que la nature même nous en fournit un bel exemple : « Car pourquoi, dit-on, Dieu commande-t-il à l’homme, l’âme au corps, et la raison aux passions ? » Cet exemple fait voir assez que la servitude est utile à quelques-uns, mais que servir Dieu est utile à tous. Or, quand l’âme est soumise à Dieu, c’est avec justice qu’elle commande au corps et que dans l’âme même la raison commande aux passions. Lors donc que l’homme ne sert pas Dieu, quelle justice peut-il y avoir dans l’homme, puisque le service qu’il lui rend donne seul le droit à l’âme de commander au corps, et à la raison de gouverner les passions ? Et s’il n’y a point de justice dans un homme étranger au culte de Dieu, certainement il n’y en aura point non plus dans une société composée de tels hommes. Partant il n’y aura point aussi de droit dont ils conviennent et qui leur donne le nom de peuple, et par conséquent point de république. Que dirai-je de l’utilité que Scipion fait encore entrer dans la définition de peuple ? Il est certain qu’à y regarder de près, rien n’est utile à des impies, comme le sont tous ceux qui, au lieu de servir Dieu, servent ces démons, qui sont eux-mêmes d’autant plus impies, qu’étant des esprits immondes, ils veulent qu’on leur sacrifie comme à des dieux. Mais, laissant cela à part, ce que nous avons dit touchant le droit suffit, à mon avis, pour faire voir que, selon cette définition, il ne peut y avoir de peuple, ni par conséquent de république où il n’y a pas de justice. Prétendre que les Romains n’ont pas servi dans leur république des esprits immondes, mais des dieux bons et saints, c’est ce qui ne se peut soutenir sans stupidité ou sans impudence, après tout ce que nous avons dit sur ce sujet ; mais, pour ne point me répéter, je dirai seulement ici qu’il est écrit dans la loi du vrai Dieu que celui qui sacrifiera à d’autres dieux qu’à lui seul sera exterminé[1]. Il veut donc en général et d’une manière absolue qu’on ne sacrifie point aux dieux, bons ou mauvais.

CHAPITRE XXII.
LE DIEU DES CHRÉTIENS EST LE VRAI DIEU ET LE SEUL À QUI L’ON DOIVE SACRIFIER.

Mais, dira-t-on, quel est ce Dieu, ou comment prouve-t-on, que lui seul méritait le culte des Romains ? Il faut être bien aveugle pour demander encore quel est ce Dieu : c’est ce Dieu dont les Prophètes ont prédit tout ce que nous voyons s’accomplir sous nos yeux ; c’est celui qui dit à Abraham : « En ta race, toutes les nations seront bénies[2] » : parole qui s’est vérifiée en Jésus-Christ, né de cette race selon la chair, comme le reconnaissent malgré eux ses ennemis mêmes ; c’est lui qui a inspiré par son Saint-Esprit toutes les prédictions que j’ai rapportées touchant l’Église que nous voyons répandue par toute la terre ; c’est lui que Varron, le plus docte des Romains, croit être Jupiter, quoiqu’il ne sache ce qu’il dit. Au moins cela fait-il voir qu’un homme si savant n’a pas jugé que ce Dieu ne fût point, ou qu’il fût méprisable, puisqu’il l’a cru le même que celui qu’il prenait pour le souverain de tous les dieux. Enfin, c’est celui que Porphyre, le plus savant des philosophes, bien qu’ardent ennemi des chrétiens, avoue être un grand Dieu, même selon les oracles de ceux qu’il croyait des dieux.

CHAPITRE XXIII.
DES ORACLES QUE PORPHYRE RAPPORTE TOUCHANT JÉSUS-CHRIST.

Porphyre[3], dans son ouvrage intitulé : La Philosophie des oracles (je me sers des expressions telles qu’elles ont été traduites du grec en latin[4]), Porphyre, dis-je, dans ce recueil de réponses prétendues divines sur des questions relatives à la philosophie, s’exprime ainsi : « Quelqu’un demandant à Apollon à quel Dieu il devait s’adresser pour retirer sa femme du christianisme, Apollon lui répondit : Il te serait peut-être plus aisé d’écrire sur l’eau, ou de voler dans l’air, que de guérir l’esprit blessé de ta femme. Laisse-la

  1. Exod. xxii, 20.
  2. Gen. XXII, 18.
  3. Sur Porphyre, voyez plus haut, livre x, ch. 9 et les notes.
  4. Le titre grec est celui-ci : Περὶ τῆς ἐκ λογίων φιλοσοφίας. Cet ouvrage de Porphyre est perdu. Il est mentionné par Théodoret et par Eusèbe. Voyez la Præpar. Evang., livre IV, ch.  6 et 8.