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LA CITÉ DE DIEU.

donc dans sa ridicule erreur chanter d’une voix factice et lugubre un Dieu mort, condamné par des juges équitables, et livré publiquement à un supplice sanglant et ignominieux ». Après ces vers d’Apollon que nous traduisons librement en prose latine. Porphyre continue de la sorte : « Cet oracle fait bien voir combien la secte chrétienne est corrompue, puisqu’il est dit que les Juifs savent mieux que les chrétiens honorer Dieu ». Car c’est ainsi que ce philosophe, poussé par sa haine contre Jésus-Christ à préférer les Juifs aux chrétiens, explique ces paroles de l’oracle d’Apollon, que Jésus-Christ a été mis à mort par des juges équitables ; comme s’ils l’avaient fait mourir justement ! Je laisse la responsabilité de cet oracle à l’interprète menteur d’Apollon ou à Porphyre lui-même, qui peut-être l’a inventé ; et nous aurons à voir plus tard comment ce philosophe s’accorde avec lui-même, ou accorde ensemble les oracles. Maintenant il nous dit que les Juifs, en véritables adorateurs de Dieu, ont condamné justement Jésus-Christ à une mort ignominieuse ; mais ce Dieu des Juifs auquel Porphyre rend témoignage, pourquoi ne pas l’écouter quand il nous dit ; « Celui qui sacrifiera à d’autres qu’au seul vrai Dieu sera exterminé[1] ? » Voici, au surplus, d’autres aveux de Porphyre plus manifestes encore. Écoutons-le glorifier la grandeur du roi des Juifs : « Apollon, dit-il, interrogé pour savoir ce qui vaut le mieux du Verbe, c’est-à-dire de la raison ou de la loi, a répondu en ces termes » (ici Porphyre cite des vers d’Apollon, parmi lesquels je choisis les suivants) :

« Dieu est le principe générateur, le roi suprême, devant qui le ciel, la terre, la mer et les mystérieux abîmes de l’enfer tremblent, et les dieux mêmes sont saisis d’épouvante ; c’est le Père que les saints hébreux honorent très-pieusement[2] ».

Voilà un oracle d’Apollon qui, selon Porphyre, reconnaît que le Dieu des Juifs est si grand qu’il épouvante les dieux mêmes. Or, puisque ce Dieu a dit que celui qui sacrifie aux dieux sera exterminé, je m’étonne que Porphyre n’ait pas aussi éprouvé quelque épouvante, et, dans ses sacrifices aux dieux, n’ait pas craint d’être exterminé.

Ce philosophe dit aussi du bien de Jésus-Christ, comme s’il avait oublié les paroles outrageantes que je viens de rapporter, ou comme si les dieux n’avaient mal parlé du Sauveur que pendant qu’ils étaient endormis, et, le connaissant mieux à leur réveil, lui eussent donné les louanges qu’il mérite. Il s’écrie comme s’il allait révéler une chose merveilleuse et incroyable : « Quelques-uns seront sans doute surpris de ce que je vais dire : c’est que les dieux ont déclaré que le Christ était un homme très-pieux, qu’il a été fait immortel, et qu’il leur a laissé un très-bon souvenir. Quant aux chrétiens, ils les déclarent impurs, chargés de souillures, enfoncés dans l’erreur, et les accablent de mille autres blasphèmes ». Porphyre rapporte ces blasphèmes comme autant d’oracles des dieux ; puis il continue ainsi : « Hécate, consultée pour savoir si le Christ est un Dieu, a répondu : Quel est l’état d’une âme immortelle séparée du corps ? vous le savez ; et si elle s’est écartée de la sagesse, vous n’ignorez pas qu’elle est condamnée à errer toujours ; celle dont vous me parlez est l’âme d’un homme excellent en piété ; mais ceux qui l’honorent sont dans l’erreur ». — « Voilà donc, poursuit Porphyre, qui cherche à rattacher ses propres pensées à celles qu’il impute aux dieux, voilà l’oracle qui déclare le Christ un homme éminent en piété, et qui assure que son âme a reçu l’immortalité comme celle des autres justes, mais que c’est une erreur de l’adorer ». — « Et comme quelques-uns, ajoute-t-il, demandaient à Hécate : Pourquoi donc a-t-il été condamné ? « La déesse répondit : Le corps est toujours exposé aux tourments, mais l’âme des justes a le ciel pour demeure. Celui dont vous me parlez a été une fatale occasion d’erreur pour toutes les âmes qui n’étaient pas appelées par les destins à recevoir les faveurs des dieux, ni à connaître Jupiter immortel. Aussi les dieux n’aiment point ces âmes fatalement déshéritées ; mais lui, c’est un juste, admis au ciel en la compagnie des justes. Gardez-vous donc de blasphémer contre lui, et prenez pitié de la folie des hommes ; car du Christ aux chrétiens, la pente est rapide[3] ».

Qui est assez stupide pour ne pas voir, ou

  1. Exod. xxii, 20.
  2. Nous trouvons dans Lactance (De ira Dei, cap. 23) trois des vers grecs que saint Augustin vient de traduire. Les autres sont perdus, mais on en rencontre d’analogues dans Justin (Serm. exhort. ad Gent.)
  3. Ce passage de Porphyre se trouve à peu près reproduit dans Eusèbe (Demonstr. Evang., lib. iii, cap. 6).