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LA CITÉ DE DIEU.

rons dans le pèlerinage de cette vie mortelle, comme nos concitoyens déjà bienheureux. Dans la loi qu’il a donnée à son peuple, il a fait entendre comme un coup de tonnerre cette terrible menace : « Celui qui sacrifiera aux dieux sera exterminé » ; et de peur qu’on ne s’imaginât que cette défense ne regarde que les mauvais démons et ces esprits terrestres que Porphyre appelle esprits inférieurs, parce que l’Écriture sainte les appelle aussi les dieux des Gentils, comme dans ce passage du psaume : « Tous les dieux des Gentils sont des démons[1] », de peur qu’on ne crût que la défense de sacrifier aux démons n’emporte pas celle de sacrifier aux esprits célestes, ou au moins à quelques-uns d’entre eux, l’Écriture ajoute ces mots : Si ce n’est au Seigneur seul, nisi Domino soli. Et quant à ceux qui, trompés par le mot soli, se figurent que Dieu est ici confondu avec le soleil, il suffit de jeter les yeux sur le texte grec pour dissiper leur erreur[2].

Ainsi, ce Dieu à qui un si excellent philosophe rend un si excellent témoignage, a donné à son peuple, au peuple hébreu, une loi écrite en langue hébraïque, et cette loi, qui est connue par toute la terre, porte expressément que celui qui sacrifiera aux dieux et à d’autres qu’au Seigneur sera exterminé. Qu’est-il besoin d’aller chercher d’autres passages dans cette loi ou dans les Prophètes pour montrer que le Dieu véritable et souverain ne veut point qu’on sacrifie à d’autres qu’à lui ? Voici un oracle court, mais terrible, sorti de la bouche de ce Dieu que les plus savants hommes du paganisme exaltent si fort : qu’on l’écoute, qu’on le craigne, qu’on y obéisse, de peur qu’on encoure la peine dont il menace : « Celui qui sacrifiera aux dieux et à d’autres qu’au Seigneur sera exterminé ». Ce n’est pas que Dieu ait besoin de rien qui soit à nous, mais c’est qu’il nous est avantageux d’être à lui. Il est écrit dans les saintes lettres des Hébreux : « J’ai dit au Seigneur : Vous êtes mon Dieu, parce que vous n’avez pas besoin de mes biens[3] ». Or, nous-mêmes, c’est-à-dire sa Cité, nous sommes le plus noble et le plus excellent sacrifice qui lui puisse être offert ; et tel est le mystère que nous célébrons dans nos oblations bien connues des fidèles, ainsi que nous l’avons dit aux livres précédents[4]. Les oracles du ciel ont déclaré hautement, par la bouche des Prophètes hébreux, que les sacrifices d’animaux que les Juifs offraient comme des figures de l’avenir cesseraient, et que les nations, du levant au couchant, n’offriraient qu’un seul sacrifice ; ce que nous voyons maintenant accompli. Nous avons rapporté dans cet ouvrage quelques-uns de ces témoignages, autant que nous l’avons trouvé à propos. Concluons qu’où n’est point cette justice, qui fait qu’on n’obéit qu’au Dieu souverain et qu’on ne sacrifie qu’à lui seul, là certainement aussi n’est point une société fondée sur des droits reconnus et sur des intérêts communs ; et par conséquent il n’y a point là non plus de peuple, si la définition qu’on en a donnée est la véritable. Il n’y a donc point enfin de république, puisque la chose du peuple ne saurait être où le peuple n’est pas.

CHAPITRE XXIV.
SUIVANT QUELLE DÉFINITION L’EMPIRE ROMAIN, AINSI QUE LES AUTRES ÉTATS, PEUVENT S’ATTRIBUER JUSTEMENT LES NOMS DE PEUPLE ET DE RÉPUBLIQUE.

Mais écartons cette définition du peuple, et supposons qu’on en choisisse une autre, par exemple celle-ci : Le peuple est une réunion d’êtres raisonnables qui s’unissent afin de jouir paisiblement ensemble de ce qu’ils aiment. Pour savoir ce qu’est chaque peuple, il faudra examiner ce qu’il aime. Toutefois, quelque chose qu’il aime, du moment qu’il y a une réunion, non de bêtes, mais de créatures raisonnables, unies par la communauté des mêmes intérêts, on peut fort bien la nommer un peuple, lequel sera d’autant meilleur que les intérêts qui le lient seront plus nobles et d’autant plus mauvais qu’ils le seront moins. Suivant cette définition, le peuple romain est un peuple, et son gouvernement est sans doute une république. Or, l’histoire nous apprend ce qu’a aimé ce peuple au temps de son origine et aux époques suivantes, et comment il a été entraîné a de cruelles séditions par la dépravation de ses mœurs, et de là conduit aux guerres civiles et sociales, où il a sapé dans sa base la concorde qui est en quelque sorte le salut du peuple. Je ne vou-

  1. Ps. XLV, 5.
  2. En effet, le texte des Septante porte : Εἰ μὴ τῷ Κυρίῳ μόνῳ.
  3. Ps. X, 2.
  4. Voyez plus haut, livre x, ch. 6 et ailleurs.