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livre XIX. — LE SOUVERAIN BIEN.

que ces oracles ont été supposés par cet homme artificieux, ennemi mortel des chrétiens, ou qu’ils ont été rendus par les démons avec une intention toute semblable, c’est-à-dire afin d’autoriser, par les louanges qu’ils donnent à Jésus-Christ, la réprobation qu’ils soulèvent contre les chrétiens, détournant ainsi les hommes de la voie du salut, où l’on n’entre que par le christianisme ? Comme ils sont infiniment rusés, peu leur importe qu’on ajoute foi à leurs éloges de Jésus-Christ, pourvu que l’on croie aussi leurs calomnies contre ses disciples, et ils souffrent qu’on loue Jésus-Christ, à condition de n’être pas chrétien, et par conséquent de n’être pas délivré par le Christ de leur domination. Ajoutez qu’ils le louent de telle sorte que quiconque croira en lui sur leur rapport ne sera jamais vraiment chrétien, mais photinien[1], et ne verra dans le Christ que l’homme et non Dieu ; ce qui l’empêchera d’être sauvé par sa médiation et de se dégager des filets de ces démons imposteurs. Pour nous, nous fermons également l’oreille à la censure d’Apollon et aux louanges d’Hécate. L’un veut que Jésus-Christ ait été justement condamné à mort par ses juges, et l’autre en parle comme d’un homme très-pieux, mais toujours un homme. Or, ils n’ont l’un et l’autre qu’un même dessein, celui d’empêcher les hommes de se faire chrétiens, seul moyen pourtant d’être délivré de leur tyrannie. Au surplus, que ce philosophe ou plutôt ceux qui ajoutent foi à ces prétendus oracles accordent, s’ils peuvent, Apollon et Hécate, et placent l’éloge ou la condamnation dans la bouche de tous deux ; mais quand ils le pourraient faire, nous n’en aurions pas moins pour ces démons, soit qu’ils louent le Christ, soit qu’ils le blasphèment, la même répulsion. Et comment les païens, qui voient un dieu et une déesse se contredire sur Jésus-Christ, et Apollon blâmer ce qu’approuve Hécate, peuvent-ils, pour peu qu’ils soient raisonnables, ajouter foi aux calomnies de ces démons contre les chrétiens ?

Au reste, quand Porphyre ou Hécate disent que Jésus-Christ a été une fatale occasion d’erreur pour les chrétiens, je leur demanderai s’il l’a été volontairement ou malgré lui. Si c’est volontairement, comment est-il juste ? et si c’est malgré lui, comment est-il bienheureux ? Mais écoutons Porphyre expliquant la cause de cette prétendue erreur : « Il y a, dit-il, en certain lieu, des esprits terrestres et imperceptibles soumis au pouvoir des mauvais démons. Les sages des Hébreux, entre lesquels était ce Jésus, selon les oracles d’Apollon que je viens de rapporter, détournaient les personnes religieuses du culte de ces mauvais démons et de ces esprits inférieurs, et les portaient à adorer plutôt les dieux célestes et surtout Dieu le père. C’est aussi, ajoute-t-il, ce que les dieux mêmes commandent, et nous avons montré ci-dessus comment ils avertissent de reconnaître Dieu et veulent qu’on l’adore partout. Mais les ignorants et les impies, qui ne sont pas destinés à recevoir les faveurs des dieux, ni à connaître Jupiter immortel, ont rejeté toute sorte de dieux, pour embrasser le culte des mauvais démons. Il est vrai qu’ils feignent de servir Dieu, mais ils ne font rien de ce qu’il faut pour cela. Dieu, comme le père de toutes choses, n’a besoin de rien ; et nous attirons ses grâces sur nous, lorsque nous l’honorons par la justice, par la chasteté et par les autres vertus, et que notre vie est une continuelle prière par l’imitation de ses perfections et la recherche de sa vérité. Cette recherche, dit-il, nous purifie, et l’imitation nous rapproche de lui ». Ici, j’en conviens, Porphyre parle dignement de Dieu le père et de l’innocence des mœurs, laquelle constitue principalement le culte qu’on lui rend. Aussi bien les livres des prophètes hébreux sont pleins de ces sortes de préceptes, soit qu’ils reprennent le vice, soit qu’ils louent la vertu. Mais Porphyre, quand il parle des chrétiens, ou se trompe, ou les calomnie autant qu’il plaît aux démons qu’il prend pour des dieux comme s’il était bien malaisé de se souvenir des infamies qui se commettent dans les temples ou sur les théâtres en l’honneur des dieux, et de considérer ce qui se dit dans nos églises ou ce qu’on y offre au vrai Dieu, pour juger de quel côté est l’édification ou la ruine des mœurs. Et quel autre que l’esprit malin lui a dit ou inspiré ce mensonge ridicule et palpable, que les chrétiens révèrent plutôt qu’ils ne les haïssent ces démons que les Hébreux défendent d’adorer ? Mais ce Dieu, que les sages des Hébreux ont adoré, défend aussi de sacrifier aux esprits célestes, aux anges et aux vertus que nous aimons et hono-

  1. Sur l’hérésie de Photin, fort semblable à celle de Paul de Samosate, voyez le livre de saint Augustin De hæres., hær. 41 et 45.