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États généraux, composa une ode où il comparait Louis XVI à Trajan, c’est-à-dire qu’en 1789 il ajournait son rêve républicain.

Est-il donc exagéré de dire qu’en France, à la veille et au début de la Révolution, non seulement il n’y avait pas de parti républicain, non seulement il n’y avait aucun plan concerté de supprimer dès lors la monarchie, mais on ne connaissait pas un individu qui eût exprimé publiquement un tel dessein ou un tel désir ?

Pourquoi ?

Parce que le pouvoir royal avait été ou paru être à la fois le lien de cette unité française en voie de formation et l’instrument historique de toute réforme pour le bien de tous, parce que le roi avait paru être l’adversaire de la féodalité, des tyrannies locales, le protecteur des communautés d’habitants contre toutes les aristocraties. Cette idée s’exprime sous cent formes diverses, et, par exemple, Mounier dira à la Constituante, le 9 juillet 1789, au nom du Comité de Constitution : « On n’a jamais cessé de l’invoquer (la puissance du prince) contre l’injustice, et dans les temps même de la plus grossière ignorance, dans toutes les parties de l’Empire, la faiblesse opprimée a toujours tourné ses regards vers le trône comme vers le protecteur chargé de le défendre. » Qui eût songé à la république, au moment où le roi, par la convocation des États généraux, semblait prendre l’initiative de la révolution désirée ? Qu’un coup de main renversât le trône en 1789 (hypothèse insensée !), c’était la dissociation des peuples qui formaient le royaume de France, la résurrection de la féodalité, l’omnipotence des tyranneaux locaux, peut-être une guerre civile désastreuse, peut-être une guerre étrangère désastreuse. On peut presque dire sans paradoxe qu’en 1789, plus on était révolutionnaire, plus on était monarchiste, parce que cette unification définitive de la France, l’un des buts et l’un des moyens de la Révolution, ne semblait pouvoir s’opérer que sous les auspices du guide héréditaire de la nation.

II. Comment se fait-il qu’en dépit de tant de textes et de faits évidents, on ait cru rétrospectivement à l’existence d’un parti républicain en France avant 1789, et à un dessein concerté de détruire la monarchie ?

C’est qu’il s’était formé, chez ces Français qui ne voulaient pas de la République, un état d’esprit républicain, qui s’exprimait par des paroles et des attitudes républicaines[1].

  1. Ce qui a prêté à l’équivoque, ce qui a fait illusion, c’est l’emploi fréquent du mot républicain pour désigner, non pas les personnes qui voulaient établir la République en France (il n’y en avait pas), mais celles qui haïssaient le despotisme, qui tenaient pour les droits de la nation, qui voulaient une réforme générale de la société, la constitution d’un gouvernement libre. Par exemple c’est dans ce sens que Gouverneur Morris, causant avec Barnave, lui disait, au début de la Révolution : « Vous êtes beaucoup plus républicain que moi. » (Mallet du Pan, Mémoires, I, 240.) En effet, Barnave fut toujours monarchiste. De même, quand Gouverneur Morris note dans son journal, le 5 mars 1789, qu’il a dîné chez Mme de Tessé, avec « des