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LES ECRIVAINS

Si tous les Français étaient d’accord pour maintenir la royauté, ils n’étaient pas d’accord sur la manière d’organiser le pouvoir royal, et on peut même dire qu’ils ne voyaient pas tous le trône avec les mêmes yeux.

La masse du peuple, dans son royalisme irraisonné, ne voyait pas, ne semblait pas voir les excès de l’autorité royale. Sans doute, les intendants étaient impopulaires. Mais les plaintes contre le « despotisme ministériel », comme on disait alors, partaient plutôt de la noblesse, de la bourgeoisie, de la classe éclairée et riche, que des paysans. Ceux-ci gémissaient surtout du « despotisme féodal » ; parce qu’en effet ils en souffraient davantage. Loin de considérer le roi comme responsable de la conduite de ses agents, le peuple disait que ces agents trompaient le roi, étaient les véritables ennemis du roi, annihilaient ou gênaient son pouvoir de faire le bien. L’idée populaire était de délivrer le roi de ces mauvais agents, afin qu’il fût éclairé et pût mieux diriger sa toute-puissance au profit de la nation contre les restes de la féodalité. Bien que le peuple commençât à avoir un certain sentiment de ses droits, loin de songer à restreindre cette toute puissance royale, c’est en elle qu’il plaçait tout son espoir. Un cahier[1]disait que, pour que le bien s’opérât, il suffisait que le roi dit : À moi, mon peuple !

Au contraire, les Français éclairés, sachant ce qu’avaient été Louis XIV et Louis XV, redoutaient les abus du pouvoir royal, et le caractère paternel du despotisme de Louis XVI ne les rassurait pas tous. Ils voulaient restreindre ce pouvoir fantaisiste et capricieux par des institutions, de manière qu’il ne fût plus dangereux pour la liberté, tout en lui laissant assez de force pour qu’il pût détruire l’aristocratie et ce qui subsistait du régime féodal, en faisant de la France une nation. Obtenir que le roi gouvernât selon des lois, voilà ce qu’on appelait « organiser la monarchie ».

Cette organisation de la monarchie fut préparée par les écrivains du XVIIIe siècle.

Avec l’esprit logique de notre nation, ils n’essayèrent pas seulement d’empêcher les abus, de réglementer l’exercice du pouvoir royal : ils discutèrent l’essence même de ce pouvoir, prétendu de droit divin, sapèrent la religion catholique sur laquelle s’appuyait le trône, cher-

    républicains de la plus belle eau » (republicans of the first feather), ou quand il écrit, deux jours après, au marquis de la Luzerne : « Le républicanisme est une influenza (sic) morale », rien ne me permet de croire qu’il fasse allusion à un projet de détruire la monarchie. Quand Marmontel dit (Mémoires, éd. Tourneux, t. III, p.178) que le corps des avocats était républicain par caractère, il indique bien le sens qu’il faut donner à ce mot avant 1789. On l’avait même employé pour désigner ceux qui, à la cour, n’observaient pas assez rigoureusement l’étiquette. Ainsi d’Argenson avait écrit, à la date du 22 mars 1788 : « La reine veut jouer au lansquenet les dimanches, et il ne se présente pas de coupeur ordinairement, chose fort ridicule que le peu d’empressement et d’honnêteté des courtisans. On devient républicain même à la cour, on se désabuse du respect pour la royauté, et on mesure trop la considération au besoin et au pouvoir. »

  1. Cf. Edme Champion, La France d’après les cahiers de 1789, p. 84, note 2.