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INFLUENCE DE L’AMÉRIQUE

nies qu’elles se mirent alors en république : elles y étaient déjà. Mais elles font de leur liberté intérieure le fondement de leur indépendance. Ce n’est pas là (se disaient nos Français) une république à installer dans un grand État : ce sont de petits États qui s’allient entre eux sans former encore une grande nation ; ce sont treize nations alliées.

En France, la révolution était conçue par avance comme nationale et unitaire, et vouloir y créer, par exemple, une trentaine de républiques alliées, c’eût été d’avance empêcher la Révolution, maintenir et aggraver la féodalité. Le fédéralisme sera le crime contre-révolutionnaire par excellence, et on le fera bien voir aux Girondins.

Personne ne songe donc à américaniser la France, à constituer la France en république fédérale. Mais, depuis la guerre d’Amérique, c’est une admiration générale pour les institutions américaines, qui sortent sans doute de la pensée anglaise, qui dérivent de Locke et des républicains de 1648, mais qui, par leur figure et leur style, semblent filles de la pensée française. Cette république dont il faut prendre, disait d’Argenson, tout ce qu’il y a de bon pour l’infuser dans la monarchie, ce n’est plus une chimère : elle existe dans le Nouveau Monde ; des Français ont versé leur sang pour qu’elle vive ; elle est l’alliée et l’amie de notre nation. Si on juge impossible d’en introduire la forme en France, on en adoptera tout ce qui est compatible avec notre situation actuelle et notre histoire. Quand la Constituante décidera de faire une déclaration des droits, elle déclarera, par l’organe de l’archevêque de Bordeaux, rapporteur du Comité de Constitution (27 juillet 1789), qu’elle suit en cela l’exemple de l’Amérique : « Cette noble idée, conçue dans un autre hémisphère, devait de préférence se transplanter d’abord parmi nous. Nous avons concouru aux événements qui ont rendu à l’Amérique septentrionale sa liberté : elle nous montre sur quels principes nous devons appuyer la conservation de la nôtre ; et c’est le Nouveau-Monde, où nous n’avions autrefois apporté que des fers, qui nous apprend aujourd’hui à nous garantir du malheur d’en porter nous-mêmes. » On peut dire que le drapeau américain flottera, à côté du drapeau anglais[1], au-dessus de l’édifice élevé par l’Assemblée constituante.

VI. Nous voyons que ces diverses influences, intérieures ou étrangères, provoquent un courant d’opinion en faveur, non de la république, mais d’une monarchie républicaine, selon l’idée et la formule de Mably.

Ces républicains monarchistes sont-ils démocrates ? Pensent-ils que tout le peuple doive ou puisse être appelé à se gouverner lui même par des mandataires qu’il élira ?

  1. Chateaubriand (Mémoires d’outre-tombe, éd. Biré, t. I, p. 295), parlant de la société française en 1789 et 1790, s’exprime ainsi : « Auprès d’un homme en habit français, tête poudrée, épée au côté, chapeau sous le bras, escarpins et bas de soie, marchait un homme cheveux coupés et sans poudre, portant le frac anglais et la cravate américaine. »