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L’ASSEMBLÉE NATIONALE

faire quand même une constitution[1]. Et, le 22, la majorité du Clergé se réunit au Tiers.

La séance royale a lieu le 23. Le roi y fait d’importantes concessions, qui, avant son alliance avec la Noblesse, auraient peut-être été accueillies avec enthousiasme. Mais il parle en roi absolu qui ordonne, casse l’acte du 17, défend aux trois ordres de voter par tête, sauf pour d’insignifiantes questions. Enfin il enjoint aux députés de se séparer tout de suite en ordres.

La royauté va-t-elle être obéie ? Moment solennel ! Mais on avait l’habitude de désobéir au roi, et les lits de justice n’avaient pas eu raison de la résistance des Parlements[2]. On savait par expérience qu’un non bien ferme faisait reculer le roi, et sa reculade de 1788 était dans toutes les mémoires. Est-ce que les représentants de la nation auront moins d’énergie que des conseillers au Parlement ? D’où le mot de Mirabeau sur les baïonnettes, la déclaration unanime de l’Assemblée qu’elle persiste dans ses précédents arrêtés, le décret rendant inviolable la personne des députés.

Qu’allait faire le roi ? Il avait donné ses ordres d’un tel ton qu’il semblait qu’il n’eût plus qu’à faire marcher des régiments. Il ne fit rien. L’abbé Jallet[3] raconte qu’averti il s’écria : « Eh bien, f…, qu’ils restent ! » Quatre jours plus tard (27 juin), il ordonna à la Noblesse de se réunir à l’Assemblée nationale et consacra ainsi lui-même solennellement cet arrêté du 17 juin qu’il avait solennellement cassé le 23.

De la sorte, il se déclara ridiculement vaincu et se plaça à la remorque de cette Révolution dont il pouvait être le directeur. Les esprits perspicaces virent bien dès lors quel coup mortel avait reçu la royauté. Étienne Dumont entendit Mirabeau s’écrier  : « C’est ainsi qu’on mène les rois à l’échafaud ! » Et, d’après Malouet[4], le même Mirabeau prévoyait déjà « l’invasion de la démocratie », c’est-à-dire la république.


III L’acte du 27 juin ne fut pas considéré comme une rupture de l’alliance du roi et de la Noblesse, mais comme un expédient, une concession forcée, un moyen dilatoire. On faisait semblant de céder, et on faisait venir des troupes des frontières.

Les députés se hâtèrent de faire acte de constituants.

  1. Voir dans mes Études et leçons sur la Révolution, première série, p. 37 à 70), l’article sur le serment du Jeu de Paume. Assurément les députés du Tiers état, au Jeu de Paume, ne songeaient pas à détruire la monarchie. Mais plus tard, quand les circonstances eurent amené cette destruction, on les regarda comme des précurseurs de la république. Dans le rapport qu’il fit à la Convention, le 7 brumaire an II, pour lui proposer d’acheter la maison du Jeu de Paume, Marie-Joseph Chénier dit qu’en faisant ce serment ces premiers mandataires du peuple « décrétaient de loin la république » (Moniteur, réimpression, t. XVIII, p. 284).
  2. Étienne Dumont (p. 96) signale l’influence qu’eut alors l’exemple des Parlements.
  3. Journal, p. 99.
  4. Mémoires, 1re éd., t. I, p. 313.