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Page:Aulard - Histoire politique de la Révolution française.djvu/52

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LE DÉBUT DE LA RÉVOLUTION

seurs du pouvoir royal proposaient l’ajournement : ils voyaient que la révolution d’Amérique avait débuté par là, et c’était ainsi que les Anglo-Américains en étaient venus à se passer de roi.

La souveraineté va-t-elle, en droit, passer du roi au peuple, comme, en fait, elle a passé du roi au peuple ? Voilà, au fond, ce qui s’agitait alors, c’est-à-dire toute la Révolution.

Les monarchistes rédacteurs de la Déclaration française n’étaient point effrayés du caractère républicain de cette Déclaration. Un des rapporteurs du Comité de constitution avait soin de rappeler qu’on l’avait rédigée à l’instar de l’Amérique[1] : ce rapporteur était l’archevêque de Bordeaux. Adhérait-il personnellement au fond, non seulement républicain, mais philosophique, rationaliste de la Déclaration ? Oui, puisqu’il dit dans ce rapport : « Les membres de votre Comité se sont tous occupés de cette importante Déclaration des droits. Ils ont peu varié dans le fond, et beaucoup plus dans la forme. »

Cependant il faut dire que, s’il y avait unanimité pour accepter ou ne pas contester les principes, on se demanda d’abord, surtout quand on n’était pas encore bien sûr que la révolution municipale eût triomphé dans toute la France, s’il était prudent de proclamer ces principes en corps de doctrine. L’opinion de l’Assemblée sembla d’abord incertaine à cet égard, et la discussion dans les bureaux avait même paru faire prévoir une décision négative. Gaultier de Biauzat écrivait, le 29 juillet, à ses commettants  : « Nous avons pensé, dans mon bureau, ce soir, qu’il est inutile et dangereux d’insérer une Déclaration des droits de l’homme dans une constitution[2]. » Et Barère, d’abord incertain lui-même, imprimait dans sa gazette, le Point du Jour : « Le premier jour des débats, il paraissait douteux si l’on adopterait même l’idée d’une Déclaration des droits séparée de la constitution[3]. »

Une partie de la bourgeoisie, à la veille de se privilégier politiquement, hésitait à proclamer les droits du prolétariat. Elle ne les contestait pas : elle jugeait imprudent de les crier aux oreilles des prolétaires, parce qu’elle ne voulait appliquer ces droits que partiellement, s’en réserver l’exercice politique.

Ce sont des nobles qui entraînèrent l’Assemblée, de jeunes nobles enthousiastes. Le comte de Montmorency dit, le 1er août 1789 : « … L’objet de toute constitution politique, comme de toute union sociale, ne peut être que la conservation des droits de l’homme et du citoyen. Les représentants du peuple se doivent donc à eux-mêmes, pour guider leur marche, ils doivent à leurs commettants, qui ont à connaître et à juger leurs motifs, à leurs successeurs, qui ont à jouir de leur ouvrage et à le perfectionner, aux autres peuples, qui peuvent

  1. Voir plus haut, p. 23. Sur les préoccupations américaines à ce moment-là, voir aussi le Point du Jour, t. II, p. 9 et 15.
  2. Correspondance, éd. Fr. Mège, t. II, p.214.
  3. Point du Jour, t. II, p. 20.