Page:Aulard - Histoire politique de la Révolution française.djvu/64

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
52
BOURGEOISIE ET DÉMOCRATIE

Et dans l’Assemblée nationale ? Y avait-il un parti républicain ou des républicains isolés ?

On l’a cru, on l’a dit.

Nous avons déjà rapporté[1], d’après Mallet du Pan, ce propos de l’ambassadeur des États-Unis, Gouverneur Morris, qui, causant avec Barnave dans les premiers jours de la Révolution, lui aurait dit « Vous êtes beaucoup plus républicain que moi. » Mais il faisait allusion à l’état d’esprit républicain que nous avons déjà caractérisé, et non à un projet d’établir la république en France. Et Barnave, fermement monarchique, théoricien et apologiste de la monarchie en toute circonstance, ne fit jamais aucune manifestation qui ne fût monarchique.

Des constituants, comme Mounier[2] et Ferrières[3], ont cru rétrospectivement, par une sorte de déformation logique de leurs souvenirs, qu’il y avait alors un parti républicain dans l’Assemblée, avec un comité secret : aucun fait ne confirme cette assertion.

Un autre constituant, Barère, imprima en l’an III qu’il n’avait pas « attendu le tocsin du 14 juillet 1789 et la Révolution du 10 août, pour être patriote, pour aimer la république[4] ». Et il ne disait pas cela pour les besoins de sa cause, car il avait plutôt alors, sous la réaction thermidorienne, à se défendre d’avoir été démagogue ; il le disait par une sincère illusion d’esprit ; il avait oublié la chronologie de ses propres évolutions d’opinion[5].

À ces allégations fantaisistes, opposons un important et peu connu témoignage contemporain, qui prouve qu’aucun constituant ne se disait alors républicain ou ne se laissait traiter de républicain : c’est celui de Rabaut Saint-Étienne, dans un discours imprimé par ordre de l’Assemblée.

Le 28 août 1789, on avait commencé à discuter l’article premier du projet du Comité de constitution, consacrant la monarchie, puis on avait passé à autre chose. Le 1er septembre, parlant de la sanction royale Rabaut Saint-Étienne s’exprima ainsi[6] :

« Il est impossible de penser que personne dans l’Assemblée ait conçu le ridicule projet de convertir le royaume en république. Personne n’ignore que le gouvernement républicain est à peine convenable à un petit État, et l’expérience nous a appris que toute république finit par être soumise à l’aristocratie ou au despotisme. D’ailleurs, les

  1. Voir plus haut, p. 6, note 1.
  2. Recherches sur les causes, etc., t.I, p. 260.
  3. Mémoires, 1re éd., t. I, p. 203.
  4. Voir sa Défense, Bibl. nat., Lb41/1629, in-8o.
  5. Je crois que les Jacobins de Dôle furent en proie à la même illusion, quand ils écrivirent à la Convention nationale, le 29 septembre 1792 : « Nous étions déjà républicains avant la prise de la Bastille ; nous abhorrions les rois… » (Arch nat., C, 237, dossier 238, pièce 17.)
  6. Opinion de Rabaut Saint-Etienne sur la motion suivante de M. le Vicomte de Noailles… (relative à la sanction). Cette opinion est reliée dans le Procès-verbal de la Constituante, t. IV.