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PERSISTANCE DE L’OPINION MONARCHIQUE

du peuple, et il ne faut plus de royauté. Néanmoins, se sentant seul de son avis, il n’insiste pas pour que le trône soit aussitôt renversé, et bientôt il aidera de sa plume les patriotes qui, comme Robespierre, chercheront à améliorer la royauté. Ce procureur général de la Lanterne est encore en 1789, malgré ses boutades contre les rois, résigné à la monarchie.

Et les autres agitateurs du Palais-Royal, ce Saint-Huruge, ce Danton ? Ils sont royalistes, comme le peuple dont ils excitent les passions. Et Marat ? Il a peu d’influence alors, mais il en aura tant demain qu’il faut noter son opinion d’alors. Il trace un plan de constitution[1] et c’est une constitution monarchique. Il admet expressément la monarchie héréditaire. Il veut mettre le roi « dans l’heureuse impuissance de faire le mal ». Mais il veut un roi inviolable : « Le prince, dit-il, ne doit être recherché que dans ses ministres ; sa personne sera sacrée. » Et il se vante « d’avoir tracé la seule forme du gouvernement monarchique qui puisse convenir à une grande nation, instruite de ses droits et jalouse de sa liberté ». À cette époque, s’il aime Rousseau, il adore Montesquieu, qu’il trouve « plus héroïque », et qu’il salue d’un long cri d’amour et de reconnaissance.

Dans les innombrables pamphlets de cette époque, un chercheur plus patient ou plus habile que moi trouvera-t-il un jour une autre manifestation républicaine que celle de Camille Desmoulins ? C’est possible ; mais, ce que je puis affirmer, c’est que je n’en ai rencontré aucune autre, et que, s’il s’en produisit une dans la presse ou dans les clubs, elle passa inaperçue de l’opinion.

Aucune gazette, même avancée, même le Patriote de Brissot, ne demande la république ou un autre roi. Les Révolutions de Paris seront plus tard démocrates, puis républicaines. En septembre 1789, c’est un journal monarchiste, dévoué à Louis XVI. Ainsi, on y lit, à propos d’une lettre royale qui demandait aux archevêques et évêques de venir au secours de l’État par leurs prières et leurs exhortations : « Un sage disait que les peuples seraient heureux quand les philosophes seraient rois ou que les rois seraient philosophes. Nous sommes donc à la veille d’être heureux, car jamais prince n’a parlé à son peuple, ou de son peuple avec autant de philosophie que Louis XVI[2]. » Et le même journal[3] constate avec satisfaction qu’au Théâtre-Français, le 9 septembre, le public fit répéter ces vers de la tragédie de Marie de Brabant par Imbert :

 
Puisse un roi, quelque jour l’idole de la France,
De l’hydre féodale abattre la puissance,
Et voir l’heureux Français, sous une seule loi,
Au lieu de vingt tyrans ne servir qu’un bon roi !

  1. Marat, La Constitution, Paris. 1789, in-8o. Bibl. nat., Lb 39,7221.
  2. Révolution de Paris, no IX. p. 10.
  3. Ibid., p. 30.