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L’OISEAU BLEU.

je suis persuadé que je renchéris encore sur la délicatesse. — Après ce que vous souffrez pour me conserver votre cœur, répliqua-t-elle, je suis en état de croire que vous avez porté l’amitié et l’estime aussi loin qu’elles peuvent aller. »

Dès que le jour paraissait, l’Oiseau volait dans le fond de son arbre, où des fruits lui servaient de nourriture. Quelquefois encore il chantait de beaux airs, sa voix ravissait les passants, ils l’entendaient et ne voyaient personne, aussi il était conclu que c’étaient des esprits. Cette opinion devint si commune, que l’on n’osait entrer dans le bois : on rapportait mille aventures fabuleuses qui s’y étaient passées, et la terreur générale fit la sûreté particulière de l’Oiseau bleu.

Il ne se passait aucun jour sans qu’il fît un présent à Florine ; tantôt un collier de perles, ou des bagues des plus brillantes et des mieux mises en œuvre, des attaches de diamants, des poinçons, des bouquets de pierreries qui imitaient la couleur des fleurs, des livres agréables, des médailles ; enfin, elle avait un amas de richesses merveilleuses : elle ne s’en parait jamais que la nuit pour plaire au roi ; et le jour, n’ayant pas d’endroit où les mettre, elle les cachait soigneusement dans sa paillasse.

Deux années s’écoulèrent ainsi sans que Florine se plaignît une seule fois de sa captivité. Et comment s’en serait-elle plainte ? Elle avait la satisfaction de parler toute la nuit à ce qu’elle aimait : il ne s’est jamais tant dit de jolies choses. Bien qu’elle ne vît personne et que l’Oiseau passât le jour dans le creux d’un arbre, ils avaient mille nouveautés à se raconter ; la matière était inépuisable, leur cœur et leur esprit fournissaient abondamment des sujets de conversation.

Cependant la malicieuse reine, qui la retenait si cruellement en prison, faisait d’inutiles efforts pour marier Truitonne ; elle envoyait des ambassadeurs la proposer à tous les princes dont elle connaissait le nom : dès qu’ils arrivaient, on les congédiait brusquement. « S’il s’agissait de la princesse Florine, vous seriez reçus avec joie, leur disait-on ; mais pour Truitonne, elle peut rester vestale sans que personne s’y oppose. » À ces nouvelles, sa mère et elle s’emportaient de colère contre l’innocente princesse qu’elles persécutaient. « Quoi ! malgré sa captivité, cette arrogante nous traversera ! disaient-elles. Quel moyen de lui pardonner les mauvais tours qu’elle nous fait ? Il faut qu’elle ait des correspondances secrètes dans les pays étrangers : c’est tout au moins une criminelle d’État ; traitons-la sur ce pied, et cherchons tous les moyens possibles de la convaincre. »

Elles finirent leur conseil si tard, qu’il était plus de minuit lorsqu’elles résolurent de monter dans la tour pour l’interroger. Elle était avec l’Oiseau bleu à la fenêtre, parée de ses pierreries, coiffée de ses beaux cheveux, avec un soin qui n’était pas naturel aux personnes affligées ; sa chambre et son lit étaient jonchés de fleurs, et quelques pastilles d’Espagne qu’elle venait de brûler répandaient une odeur excellente. La reine écouta à la porte ; elle crut entendre chanter un air à deux parties, car Florine avait une voix presque céleste ; en voici les paroles, qui lui parurent tendres :

Que notre sort est déplorable,
Et que nous souffrons de tourments
Pour nous aimer trop constamment !
Mais c’est en vain qu’on nous accable !
Malgré nos cruels ennemis,
Nos cœurs seront toujours unis.


Quelques soupirs finirent leur petit concert.

« Ah ! ma Truitonne, nous sommes trahies, » s’écria la reine en ouvrant brusquement la porte, et se jetant dans la chambre. « Que devint Florine à cette vue ? Elle poussa promptement sa petite fenêtre, pour donner le temps à l’Oiseau royal de s’envoler. Elle était bien plus occupée de sa conservation que de la sienne propre ; mais il ne se sentit pas la force de s’éloigner : ses yeux perçants lui avaient découvert le péril auquel sa princesse était exposée. Il avait vu la reine et Truitonne ; quelle affliction de n’être pas en état de défendre sa maîtresse ! Elles s’approchèrent d’elle comme des furies qui voulaient la dévorer. « L’on sait vos intrigues contre l’État, s’écria la reine, ne pensez pas que votre rang vous sauve des châtiments que vous méritez. — Et avec qui, madame ? répliqua la princesse. N’êtes-vous pas ma geôlière depuis deux ans ? Ai-je vu d’autres personnes que celles que vous m’avez envoyées ? » Pendant qu’elle parlait, la reine et sa fille l’examinaient avec une surprise sans pareille, son admirable beauté et son extraordinaire parure les éblouissaient. « Et d’où vous viennent, madame, dit la reine, ces pierreries qui brillent plus que le soleil ? Nous ferez-vous accroire qu’il y en a des mines dans cette tour ? — Je les y ai trouvées, répliqua Florine ; c’est tout ce que j’en sais. » La reine la regardait attentivement, pour pénétrer jusqu’au fond de son cœur ce qui s’y passait. « Nous ne sommes pas vos dupes, dit-elle, vous pensez nous en faire accroire ; mais, princesse, nous savons ce que vous faites depuis le matin jusqu’au soir. On vous a donné tous ces bijoux dans la seule vue de vous obliger à vendre le royaume de votre père. — Je serais fort en état de le livrer ! répondit-elle avec un sourire dédaigneux : une princesse infortunée, qui languit dans les fers depuis si longtemps, peut beaucoup dans un complot de cette nature ! — Et pour qui donc, reprit la reine, êtes-vous coiffée comme une petite coquette, votre chambre pleine d’odeurs, et votre personne si magnifique, qu’au milieu de la cour vous seriez moins parée ? — J’ai assez de loisir, dit la princesse ; il n’est pas extraordinaire que j’en donne quelques moments à m’habiller ; j’en passe tant d’autres à pleurer mes malheurs, que ceux-là ne sont pas à me reprocher. — Çà, çà, voyons, dit la reine, si cette inno-