Page:Aulnoy - Contes de Madame d'Aulnoy, 1882.djvu/39

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
24
L’OISEAU BLEU.

cente personne n’a point quelque traité fait avec les ennemis. » Elle chercha elle-même partout ; et venant à la paillasse, qu’elle fit vider, elle y trouva une si grande quantité de diamants, de perles, de rubis, d’émeraudes et de topazes, qu’elle ne savait d’où cela venait. Elle avait résolu de mettre en quelque lieu des papiers pour perdre la princesse ; dans le temps qu’on n’y prenait pas garde, elle en cacha dans la cheminée : mais par bonheur l’Oiseau bleu était perché au-dessus, qui voyait mieux qu’un lynx, et qui écoutait tout ; il s’écria : « Prends garde à toi, Florine, voilà ton ennemie qui veut te faire une trahison. » Cette voix, si peu attendue épouvanta à tel point la reine, qu’elle n’osa faire ce qu’elle avait médité. « Vous voyez, madame, dit la princesse, que les esprits qui volent en l’air me sont favorables. — Je crois, dit la reine outrée de colère, que les démons s’intéressent pour vous ; mais malgré eux votre père saura se faire justice. — Plût au Ciel, s’écria Florine, n’avoir à craindre que la fureur de mon père ! Mais la vôtre, madame, est plus terrible. »

La reine la quitta, troublée de tout ce qu’elle venait de voir et d’entendre ; elle tint conseil sur ce qu’elle devait faire contre la princesse : on lui dit que, si quelque fée ou quelque enchanteur la prenaient sous leur protection, le vrai secret pour les irriter serait de lui faire de nouvelles peines, et qu’il serait mieux d’essayer de découvrir son intrigue. La reine approuva cette pensée ; elle envoya coucher dans sa chambre une jeune fille qui contrefaisait l’innocente : elle eut l’ordre de lui dire qu’on la mettait auprès d’elle pour la servir. Mais quelle apparence de donner dans un panneau si grossier ? La princesse la regarda comme une espionne ; elle ne put ressentir une douleur plus violente. « Quoi ! je ne parlerais plus à cet oiseau qui m’est si cher ? disait-elle. Il m’aidait à supporter mes malheurs, je soulageais les siens ; notre tendresse nous suffisait. Que va-t-il faire ? Que ferai-je moi-même ? » En pensant à toutes ces choses, elle versait des ruisseaux de larmes.

Elle n’osait plus se mettre à la petite fenêtre, quoiqu’elle entendît voltiger autour : elle mourait d’envie de lui ouvrir ; mais elle craignait d’exposer la vie de ce cher amant. Elle passa un mois entier sans paraître ; l’Oiseau bleu se désespérait : quelles plaintes ne faisait-il pas ! Comment vivre sans voir sa princesse ? Il n’avait jamais mieux ressenti les maux de l’absence et ceux de la métamorphose ; il cherchait inutilement des remèdes à l’une et à l’autre : après s’être creusé la tête, il ne trouvait rien qui le soulageât.

L’espionne de la princesse, qui veillait jour et nuit depuis un mois, se sentit si accablée de sommeil, qu’enfin elle s’endormit profondément. Florine s’en aperçut ; elle ouvrit sa petite fenêtre, et dit :

Oiseau bleu, couleur du temps,
Vole à moi promptement.


Ce sont là ses propres paroles, auxquelles l’on n’a rien voulu changer. L’Oiseau les entendit si bien, qu’il vint promptement sur la fenêtre. Quelle joie de se revoir ! Qu’ils avaient de choses à se dire ! Les amitiés et les protestations de fidélité se renouvelèrent mille et mille fois : la princesse n’ayant pu s’empêcher de répandre des larmes, son amant s’attendrit beaucoup et la consola de son mieux. Enfin, l’heure de se quitter étant venue, sans que la geôlière se fût réveillée, ils se dirent l’adieu du monde le plus touchant. Le lendemain encore l’espionne s’endormit ; la princesse diligemment se mit à la fenêtre, puis elle dit comme la première fois :

Oiseau bleu, couleur du temps,
Vole à moi promptement.


Aussitôt l’Oiseau vint, et la nuit se passa comme l’autre, sans bruit et sans éclat, dont nos amants étaient ravis : ils se flattaient que la surveillante prendrait tant de plaisir à dormir, qu’elle en ferait autant toutes les nuits. Effectivement, la troisième se passa encore très heureusement ; mais pour celle qui suivit, la dormeuse ayant entendu quelque bruit, elle écouta sans faire semblant de rien ; puis elle regarda de son mieux, et vit au clair de la lune le plus bel Oiseau de l’univers qui parlait à la princesse, qui la caressait avec sa patte, qui la becquetait doucement ; enfin elle entendit plusieurs choses de leur conversation, et demeura très étonnée ; car l’Oiseau parlait comme un amant, et la belle Florine lui répondait avec tendresse.

Le jour parut, ils se dirent adieu ; et comme s’ils eussent eu un pressentiment de leur prochaine disgrâce, ils se quittèrent avec une peine extrême : la princesse se jeta sur son lit toute baignée de ses larmes, et le roi retourna dans le creux de son arbre. La geôlière courut chez la reine ; elle lui apprit tout ce qu’elle avait vu et entendu. La reine envoya quérir Truitonne et ses confidentes ; elles raisonnèrent longtemps ensemble, et conclurent que l’Oiseau bleu était le roi Charmant. « Quel affront ! s’écria la reine. Quel affront, ma Truitonne ! Cette insolente princesse, que je croyais si affligée, jouissait en repos des agréables conversations de notre ingrat ! Ah ! je me vengerai d’une manière si sanglante qu’il en sera parlé. » Truitonne la pria de n’y perdre pas un moment, et, comme elle se croyait plus intéressée dans l’affaire que la reine, elle mourait de joie lorsqu’elle pensait à tout ce qu’on ferait pour désoler l’amant et la maîtresse.

La reine renvoya l’espionne dans la tour ; elle lui ordonna de ne témoigner ni soupçon, ni curiosité, et de paraître plus endormie qu’à l’ordinaire. Elle se coucha de bonne heure, elle ronfla de son mieux ; et la pauvre princesse, ouvrant la petite fenêtre, s’écria :

Oiseau bleu, couleur du temps,
Vole à moi promptement.


Mais elle l’appela toute la nuit inutilement, il ne parut