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LA CHATTE BLANCHE.

persuade quelquefois qu’ils ne sont pas éloignés de moi. » Elle me donna mon déjeuner et ma quenouille. « Quand tu auras mangé, ne manque pas de filer, car tu ne fis rien hier, me dit-elle, et mes sœurs se fâcheront. » En effet je m’étais si fort occupée de l’inconnu, qu’il m’avait été impossible de filer.

Dès qu’elle fut partie, je jetai la quenouille d’un petit air mutin, et montai sur la terrasse pour découvrir de plus loin dans la campagne. J’avais une lunette d’approche excellente ; rien ne bornait ma vue, je regardais de tous côtés, lorsque je découvris mon chevalier sur le haut d’une montagne. Il se reposait sous un riche pavillon d’étoffe d’or et il était entouré d’une fort grosse cour. Je ne doutai point que ce fût le fils de quelque roi voisin du palais des fées ; comme je craignais que s’il revenait à la tour il ne fût découvert par le terrible dragon, je vins prendre mon perroquet et lui dis de voler jusqu’à cette montagne ; qu’il y trouverait celui qui m’avait parlé, et qu’il le priât de ma part de ne plus revenir, parce que j’appréhendais la vigilance de mes gardiennes et quelles ne lui fissent un mauvais tour.

Perroquet s’acquitta de sa mission en perroquet d’esprit. Chacun demeura surpris de le voir venir à tire-d’aile se percher sur l’épaule du prince, et lui parler tout bas à l’oreille. Le prince ressentit de la joie et de la peine de cette ambassade. Le soin que je prenais flattait son cœur ; mais les difficultés qui se rencontraient à me parler l’accablaient, sans pouvoir le détourner du dessein qu’il avait formé de me plaire. Il fit cent questions à Perroquet, et Perroquet lui en fit cent à son tour, car il était naturellement curieux. Le roi le chargea d’une bague pour moi, à la place de ma turquoise ; c’en était une aussi, mais beaucoup plus belle que la mienne : elle était taillée en cœur avec des diamants. « Il est juste, ajouta-t-il que je vous traite en ambassadeur ; voilà mon portrait que je vous donne, ne le montrez qu’à votre charmante maîtresse. » Il lui attacha sous son aile son portrait, et il apporta la bague dans son bec.

J’attendais le retour de mon petit courrier vert avec une impatience que je n’avais point connue jusqu’alors. Il me dit que celui à qui je l’avais envoyé était un grand roi, qu’il l’avait reçu le mieux du monde et que je pouvais m’assurer qu’il ne voulait plus vivre que pour moi ; qu’encore qu’il y eût beaucoup de péril à venir au bas de ma tour, il était résolu à tout plutôt que de renoncer à me voir. Ces nouvelles m’intriguèrent fort, je me mis à pleurer. Perroquet et Toutou me consolèrent de leur mieux, car ils m’aimaient tendrement. Puis Perroquet me présenta la bague du prince et me montra le portrait. J’avoue que je n’ai jamais été si aise que je le fus de pouvoir considérer de près celui que je n’avais vu que de loin. Il me parut encore plus aimable qu’il ne m’avait semblé. Il me vint cent pensées dans l’esprit, dont les unes agréables, et les autres tristes, me donnèrent un air d’inquiétude extraordinaire. Les fées, qui vinrent me voir, s’en aperçurent. Elles se dirent l’une à l’autre que sans doute je m’ennuyais, et qu’il fallait songer à me donner un époux de race fée. Elles parlèrent de plusieurs, et s’arrêtèrent sur le petit roi Migonnet, dont le royaume était à cinq cent mille lieues de leur palais ; mais ce n’était pas là une affaire. Perroquet entendit ce beau conseil ; il vint m’en rendre compte et me dit : « Oh ! que je vous plains, ma chère maîtresse, si vous devenez la reine Migonnette ! c’est un magot qui fait peur ; j’ai regret de vous le dire, mais en vérité le roi qui vous aime, ne voudrait pas de lui pour être son valet de pied. — Est-ce que tu l’as vu, Perroquet ? — Je le crois vraiment, continua-t-il ; j’ai été élevé sur une branche avec lui. — Comment, sur une branche ? repris-je. — Oui, dit-il, c’est qu’il a les pieds d’un aigle. »

Un tel récit m’affligea étrangement. Je regardais le charmant portrait du jeune roi ; je pensais bien qu’il n’en avait régalé Perroquet que pour me donner lieu de le voir ; et quand j’en faisais comparaison avec Migonnet, je n’espérais plus rien de ma vie, et je me résolvais plutôt à mourir qu’à l’épouser.

Je ne dormis point tant que la nuit dura. Perroquet et Toutou causèrent avec moi. Je m’endormis un peu sur le matin ; et comme mon chien avait le nez bon, il sentit que le roi était au pied de la tour. Il éveilla Perroquet. « Je gage, dit-il, que le roi est là-bas. » Perroquet répondit : « Tais-toi, babillard ! Parce que tu as presque toujours les yeux ouverts et l’oreille alerte, tu es fâché du repos des autres. — Mais gageons, dit encore le bon Toutou ; je sais bien qu’il y est. » Perroquet répliqua : « Et moi, je sais bien qu’il n’y est point : ne lui ai-je pas défendu d’y venir, de la part de notre maîtresse ? — Ah ! vraiment, tu me la donnes belle avec tes défenses, s’écria mon chien ; un homme passionné ne consulte que son cœur. » Et là-dessus il se mit à lui tirailler si fort les ailes, que Perroquet se fâcha. Je m’éveillai aux cris de l’un et de l’autre. Ils me dirent ce qui en faisait le sujet ; je courus ou plutôt je volai à ma fenêtre. Je vis le roi qui me tendait les bras et qui me dit avec sa trompette qu’il ne pouvait plus vivre sans moi ; qu’il me conjurait de trouver les moyens de sortir de ma tour ou de l’y faire entrer ; qu’il attestait tous les dieux et tous les éléments qu’il m’épouserait aussitôt, et que je serais une des plus grandes reines de l’univers.

Je commandai à Perroquet de lui aller dire que ce qu’il souhaitait me semblait presque impossible ; que cependant sur la parole qu’il me donnait et les serments qu’il avait faits, j’allais m’appliquer à ce qu’il désirait ; que je le conjurais de ne pas venir tous les jours ; qu’enfin l’on pourrait s’en apercevoir, et qu’il n’y aurait point de quartier avec les fées.

Il se retira comblé de joie, par l’espérance dont je le