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LA CHATTE BLANCHE.

flattais, et je me trouvai dans le plus grand embarras du monde lorsque je fis réflexion à ce que je venais de promettre. Comment sortir de cette tour où il n’y avait point de portes, et n’avoir pour tout secours que Perroquet et Toutou ? Être si jeune, si peu expérimentée, si craintive ! Je pris donc la résolution de ne point tenter une chose où je ne réussirais jamais, et je l’envoyai dire au roi par Perroquet. Il voulut se tuer à ses yeux ; mais enfin il le chargea de me persuader, ou de le venir voir mourir, ou de le soulager. « Sire, s’écria l’ambassadeur emplumé, ma maîtresse est suffisamment persuadée, elle ne manque que de pouvoir. »

Quand il me rendit compte de tout ce qui s’était passé, je m’affligeai plus que je l’eusse encore fait. La fée Violente vint ; elle me trouva les yeux enflés et rouges ; elle dit que j’avais pleuré, et que, si je ne lui en avouais le sujet, elle me brûlerait, car toutes ses menaces étaient toujours terribles. Je répondis, en tremblant, que j’étais lasse de filer et que j’avais envie de faire de petits filets pour prendre des oisillons qui venaient becqueter les fruits de mon jardin. « Ce que tu souhaites, ma fille, me dit-elle, ne te coûtera plus de larmes ; je t’apporterai des cordelettes tant que tu en voudras. » Et, en effet, j’en eus le soir même. Mais elle m’avertit de songer moins à travailler qu’à me faire belle, parce que le roi Migonnet devait arriver dans peu. Je frémis à ces fâcheuses nouvelles, et ne répliquai rien.

Dès qu’elle fut partie, je commençai deux ou trois morceaux de filets ; mais à quoi je m’appliquai, ce fut à faire une échelle de corde qui était très bien faite, sans en avoir jamais vu. Il est vrai que la fée ne m’en fournissait pas autant qu’il m’en fallait, et sans cesse elle me disait : « Mais ma fille, ton ouvrage est semblable à celui de Pénélope, il n’avance point ; et tu ne laisses pas de me demander de quoi travailler. — Oh ! ma bonne maman ! disais-je, vous en parlez bien à votre aise ; ne voyez-vous pas que je ne sais comment m’y prendre et que je brûle tout ! Avez-vous peur que je ne vous ruine en ficelle ? » Mon air de simplicité la réjouissait, bien qu’elle fût d’une humeur très désagréable et très cruelle.

J’envoyai Perroquet dire au roi de venir un soir sous les fenêtres de la tour, qu’il y trouverait l’échelle et qu’il saurait le reste quand il serait arrivé. En effet, je l’attachai bien ferme, résolue de me sauver avec lui ; mais quand il la vit, sans attendre que je descendisse, il monta avec empressement et se jeta dans ma chambre comme je préparais tout pour ma fuite.

Sa vue me donna tant de joie, que j’en oubliai le péril où nous étions. Il renouvela tous ses serments et me conjura de ne point différer de le recevoir pour mon époux. Nous prîmes Perroquet et Toutou pour témoins de notre mariage. Jamais noces ne se sont faites, entre des personnes si élevées, avec moins d’éclat et de bruit, et jamais cœurs n’ont été plus contents que les nôtres.

Le jour n’était pas encore venu quand le roi me quitta. Je lui racontai l’épouvantable dessein des fées de me marier au petit Migonnet ; je lui dépeignis sa figure, dont il eut autant d’horreur que moi. À peine fut-il parti que les heures me semblèrent aussi longues que des années. Je courus à la fenêtre, je le suivis des yeux malgré l’obscurité ; mais quel fut mon étonnement de voir en l’air un chariot de feu traîné par des salamandres ailées qui faisaient une telle diligence que l’œil pouvait à peine le suivre ! Ce chariot était accompagné de plusieurs gardes montés sur des autruches. Je n’eus pas assez de loisir pour bien considérer le magot qui traversait ainsi les airs, mais je crus aisément que c’était une fée, ou un enchanteur.


Jamais, depuis qu’il y a des nains, il ne s’en est vu plus petit… (p. 76)

Peu après la fée Violente entra dans ma chambre. « Je t’apporte de bonnes nouvelles, me dit-elle ; ton amant est arrivé depuis quelques heures, prépare-toi à le recevoir. Voici des habits et des pierreries. — Eh ! qui vous a dit, m’écriai-je, que je voulais être mariée ? ce n’est point du tout mon intention ; renvoyez le roi Migonnet. Je n’en mettrai pas une épingle davantage. Qu’il me trouve belle ou laide, je ne suis point pour lui. — Ouais, ouais, dit la fée encore ; quelle petite révoltée ! quelle tête sans cervelle ! Je n’entends pas raillerie et je te… — Que me ferez-vous ? répliquai-je toute rouge des noms qu’elle m’avait donnés. Peut-on être plus tristement nourrie que je le suis, dans une tour avec un perroquet et un chien ; voyant tous les jours plusieurs fois l’horrible figure d’un dragon épouvantable ? — Ah ! petite ingrate ! dit la fée, méritais-tu tant de soins et de peines ? Je ne l’ai que trop dit à mes sœurs, que nous en aurions une triste récompense. » Elle alla les trouver ; elle leur raconta notre différend, elles restèrent aussi surprises les unes que les autres.

Perroquet et Toutou me firent de grandes remontrances ;