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LE PRINCE

moment ; puis reprenant la parole : « Je te sais bon gré, dit-elle, de l’avoir refusé de l’amener avec toi. — Mais, madame, répondit Abricotine (qui était une franche finette, et qui pénétrait déjà les pensées de sa maîtresse), quand il serait venu admirer les merveilles de ces beaux lieux, quel mal vous en pouvait-il arriver ? Voulez-vous être éternellement inconnue dans un coin du monde, cachée au reste des mortels ? De quoi vous sert tant de grandeur, de pompe, de magnificence, si elle n’est vue de personne ? — Tais-toi, tais-toi, petite causeuse, dit la princesse, ne trouble point l’heureux repos dont je jouis depuis six cents ans. Penses-tu que si je menais une vie inquiète et turbulente, j’eusse vécu un si grand nombre d’années ? Il n’y a que les plaisirs innocens et tranquilles qui puissent produire de tels effets. N’avons-nous pas lu dans les plus belles histoires les révolutions des plus grands États, les coups imprévus d’une fortune inconstante, les désordres inouis de l’amour, les peines de l’absence ou de la jalousie ? Qu’est-ce qui produit toutes ces alarmes et toutes ces afflictions ? Le seul commerce que les humains ont les uns avec les autres. Je suis, grâces aux soins de ma mère, exempte de toutes ces traverses ; je ne connais ni les amertumes du cœur, ni les désirs inutiles, ni l’envie, ni l’amour, ni la haine. Ah ! vivons, vivons toujours avec la même indifférence. »

Abricotine n’osa répondre, la princesse attendit quelque temps ; puis elle lui demanda si elle n’avait rien à dire ? Elle répliqua qu’elle pen-