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LUTIN

fut long-temps sans oser parler ; son esprit agité flottait entre la crainte et l’espérance ; elle craignait Lutin, mais elle l’aimait quand il prenait la figure de l’inconnu. Enfin elle s’écria : « Lutin, galant Lutin, que n’êtes-vous celui que je souhaite ! » À ces mots, Lutin allait se déclarer, mais il n’osa encore le faire. « Si j’effraie l’objet que j’adore, disait-il, si elle me craint, elle ne voudra point m’aimer. » Ces considérations le firent taire, et l’obligèrent de se retirer dans un coin de la grotte.

La princesse croyant être seule, appela Abricotine, et lui conta les merveilles de la statue animée ; que sa voix était céleste, et que dans son évanouissement, Lutin l’avait fort bien secourue. « Quel dommage, disait-elle que ce Lutin soit difforme et affreux ! car se peut-il des manières plus gracieuses et plus aimables que les siennes ? — Et qui vous a dit, madame répliqua Abricotine, qu’il soit tel que vous vous le figurez ? Psyché ne croyait-elle pas que l’amour était un serpent ? Votre aventure a quelque chose de semblable à la sienne, vous n’êtes pas moins belle. Si c’était Cupidon qui vous aimât, ne l’aimeriez-vous point ? — Si Cupidon et l’inconnu sont la même chose, dit la princesse on rougissant, hélas ! je veux bien aimer Cupidon ! Mais que je suis éloignée d’un pareil bonheur ! Je m’attache à une chimère, et ce portrait fatal de l’inconnu, joint à ce que tu m’en as dit, me jettent dans des dispositions si opposées aux préceptes que j’ai reçus de ma mère, que je ne peux