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ET PERCINET.

« J’ai, dit-elle, qu’étant la maîtresse, je veux que le page vert tienne la bride de mon cheval, comme il faisait quand Gracieuse le montait. » Le roi ordonna au page vert de conduire le cheval de la reine. Percinet jeta les yeux sur sa princesse, et elle sur lui, sans dire un pauvre mot : il obéit, et toute la cour se mit en marchie ; les tambours et les trompettes faisaient un bruit désespéré. Grognon était ravie : avec son nez plat et sa bouche de travers, elle ne se serait pas changée pour Gracieuse.

Mais dans le temps que l’on y pensait le moins, voilà le beau cheval qui se met à sauter, à ruer et à courir si vite, que personne ne pouvait l’arrêter ; il emporta Grognon. Elle se tenait à la selle et aux crins, et elle criait de toute sa force ; en fin elle tomba le pied pris dans l’étrier. Il la traina bien loin sur des pierres, sur des épines et dans la boue, où elle resta presque ensevelie. Comme chacun la suivait, on l’eut bientôt jointe : elle était toute écorchée, sa tête cassée en quatre ou cinq endroits, un bras rompu : il n’a jamais été une mariée en plus mauvais état.

Le roi paraissait au désespoir. On la ramassa comme un verre brisé en pièces ; son bonnet était d’un côté, ses souliers de l’autre : on la porta dans la ville, on la coucha, et l’on fit venir les meilleurs chirurgiens. Toute malade qu’elle était, elle ne laissait pas de tempêter : « Voilà un tour de Gracieuse, disait-elle ; je suis certaine qu’elle n’a pris ce beau et méchant cheval que pour m’en faire envie et qu’il me tuât :