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LE MOUTON

Elle n’hésita donc pas à suivre le mouton, qui marchait devant elle : il la fit descendre si bas, si bas, qu’elle pensait aller au moins aux antipodes ; et elle avait peur quelquefois qu’il ne la conduisît au royaume des morts. Enfin elle découvrit tout d’un coup une vaste plaine émaillée de mille fleurs différentes, dont la bonne odeur surpassait toutes celles qu’elle avait jamais senties ; une grosse rivière d’eau de fleurs d’oranges coulait autour, des fontaines de vin d’Espagne, de rossoli, d’hypocras et de mille autres sortes de liqueurs formaient des cascades et de petits ruisseaux charmants. Cette plaine était couverte d’arbres singuliers ; il y avait des avenues tout entières de perdreaux, mieux piqués et mieux cuits que chez la Guerbois, et qui pendaient aux branches ; il y avait d’autres allées de cailles et de lapereaux, de dindons, de poulets, de faisans et d’ortolans ; en de certains endroits où l’air paraissait plus obscur, il y pleuvait des bisques d’écrevisses, des soupes de santé, des foies gras, des ris de veau mis en ragoûts, des boudins blancs, des saucissons, des tourtes, des pâtés, des confitures sèches et liquides, des louis d’or, des écus, des perles et des diamants. La rareté de cette pluie, et tout ensemble l’utilité, aurait attiré la bonne compagnie, si le gros mouton avait été un peu plus d’humeur à se familiariser ; mais toutes les chroniques qui ont parlé de lui, assurent qu’il gardait mieux sa gravité qu’un sénateur romain.

Comme l’on était dans la plus belle saison de l’année, lorsque Merveilleuse arriva dans ces beaux lieux, elle ne vit point d’autres palais qu’une longue suite d’orangers, de