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LE MOUTON

suis infortunée de ne pas voir tant de belles choses ; me voilà sous la terre avec des ombres et des moutons, pendant que ma sœur va paraître parée comme une reine ; chacun lui fera sa cour, je serai la seule qui ne prendra point de part à sa joie. — De quoi vous plaignez-vous, madame, lui dit le roi des moutons, vous ai-je refusé d’aller à la noce ? Partez quand il vous plaira, mais donnez-moi parole de revenir ; si vous n’y consentez pas, vous m’allez voir expirer à vos pieds, car l’attachement que j’ai pour vous est trop violent pour que je puisse vous perdre sans mourir.

Merveilleuse, attendrie, promit au mouton que rien au monde ne pourrait empêcher son retour. Il lui donna un équipage proportionné à sa naissance ; elle s’habilla superbement, et n’oublia rien de tout ce qui pouvait augmenter sa beauté ; elle monta dans un char de nacre de perle, traîné par six hippogriffes isabelles nouvellement arrivés des antipodes ; il la fit accompagner par un grand nombre d’officiers richement vêtus et admirablement bien faits ; il les avait envoyés chercher fort loin pour faire le cortège.

Elle se rendit au palais du roi son père, dans le moment qu’on célébrait le mariage ; dès qu’elle entra, elle surprit par l’éclat de sa beauté et par celui de ses pierreries, tous ceux qui la virent ; elle n’entendait autour d’elle que des acclamations et des louanges ; le roi la regardait avec une attention et un plaisir qui lui fit craindre d’en être reconnue ; mais il était si prévenu de sa mort, qu’il n’en eut pas la moindre idée.