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LE RAMEAU D’OR

apprendre votre destinée ! de vous instruire des écueils que la fortune mettra en votre chemin ! de vous enseigner les moyens de les éviter ! Que j’aurais de satisfaction de joindre ce bon office à celui que je viens de vous rendre ! mais j’offenserais le Génie supérieur qui vous guide : allez, prince, fuyez de la tour, et souvenez-vous que la fée Bénigne sera toujours de vos amis. À ces mots, elle, le palais et les merveilles que le prince avait vues, disparurent : il se trouva dans une épaisse forêt, à plus de cent lieues de la tour où le roi Brun l’avait fait mettre.

Laissons-le revenir de son juste étonnement, et voyons deux choses ; l’une, ce qui se passe entre les gardes que son père lui avait donnés ; et l’autre, ce qui arrive à la princesse Trognon. Ces pauvres gardes, surpris que leur prince ne demandât point à souper entrèrent dans sa chambre, et ne l’ayant pas trouvé, ils le cherchèrent partout avec une extrême crainte qu’il ne se fût sauvé. Leur peine étant inutile, ils pensèrent se désespérer ; car ils appréhendaient que le roi Brun, qui était si terrible, ne les fît mourir. Après avoir agité tous les moyens propres à l’apaiser, ils conclurent qu’il fallait qu’un d’entre eux se mît au lit, et ne se laissât point voir ; qu’ils diraient que le prince était bien malade, que peu après il le feindraient mort, et qu’une bûche ensevelie et enterrée les tirerait d’intrigue. Ce remède leur parut infaillible ; sur-le-champ ils le mirent en pratique. Le plus petit des gardes, à qui l’on fit une grosse bosse, se coucha. On fut dire au roi que son fils était bien malade ; il crut que c’était pour l’attendrir, et ne voulut rien relâcher de sa sévérité. C’était justement ce que les timides gardes souhaitaient ; et plus ils faisaient paraître d’empressements, plus le roi Brun marquait d’indifférence.