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VOYAGE D’UNE FEMME

et moirés, et semblent de gros poissons endormis sur le sable ; sous cette forme paisible, ils offrent à la cascade une résistance qui l’oblige à diviser ses eaux en plusieurs petits torrents dont la course se continue agitée et bruyante pendant quelques centaines de pas ; puis tout se calme, la rivière a retrouvé un nouveau lit et reprend ses allures tranquilles.

Au bord de l’eau, au-dessous même de la chute, on a établi une fonderie de cuivre ; la cascade fait marcher les grandes roues des machines ; l’homme a utilisé sa violence, il profite de sa furie. J’ai visité cette fonderie ; j’y ai vu en mouvement toutes ces effroyables choses qu’on nomme des mécaniques, véritables bêtes de la création de l’homme ; puissantes, redoutables, autant que les plus terribles monstres. Ce qu’il s’agitait là de scies, de roues, d’engrenages, de marteaux, je ne saurais le dire ; j’ai seulement été effrayée par une effroyable machine dont la tête, munie d’un tranchant, coupait avec un mouvement doux et régulier des barres de cuivre plus grosses que des troncs d’arbres. Au milieu de tout cela s’agitait un peuple d’hommes noirs et demi-nus, qui, éclairés par les flamboiements rougeâtres des fournaises, avaient bien l’air des démons de cet enfer. Les coups redoublés des marteaux, les grincements des scies, les plaintes des roues, les pétillements des brasiers, les bouillonnements du métal en tout cela formait un inexplicable fracas sans cesse dominé par le bruit assourdissant de la cascade. Cette voix continue et formidable qui mugissait au de-