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VOYAGE D’UNE FEMME

nous soumettons les autres nations par l’intérieur et par l’extérieur, par le costume et par les idées ; nous leur donnons nos modes et nos livres, double et pacifique conquête faisant chaque année un pas à la plus grande gloire de la civilisation !

Le 20 juin, de grand matin, j’aperçus devant nous un groupe de hautes montagnes ; par un hasard assez fréquent dans la mer du Nord, nous étions alors dans une zone d’épais brouillard, tandis que ces montagnes étaient entourées d’une pure atmosphère ; à travers notre voile de brume, je distinguais mal leur base ; mais leurs cimes de neige, éclairées par un pâle rayon de soleil, formaient une gigantesque scie blanche entamant la voûte bleue du ciel. Au bout d’une demi-heure, nous étions assez près de ces montagnes, et je savais leur nom : c’étaient les îles Loffoden ; leur aspect me parut misérable et affreux. Figurez-vous une plage étroite, demi-circulaire, dont le sol est formé d’une immense alluvion de galets noirs et gris, sans cesse remués par les flots avec un bruit uniforme et étourdissant : c’est le port. Sur tous les points de cette plage s’élèvent de grands échafaudages de bois pareils à des potences, où pendent de grands lambeaux de chair livides, tordus, hideux. Les potences sont des séchoirs, et les pendus des morues. Au milieu de tout cela, il y a quelques masures, dont le bois est devenu presque noir sous l’influence du froid et de l’humidité. L’œil, pour se consoler, ne peut même pas errer autour de la plage et se reposer sur l’étendue ; il rencontre immédiatement le flanc aride et sombre des grandes montagnes de granit. Ajoutez que tous les plans de ce lugubre ta-