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AU SPITZBERG.

J’étais saisie d’un indicible effroi au milieu de ces sépultures ; la pensée que je pouvais venir prendre ma place près d’elles m’apparut tout à coup dans toute son horreur ; j’avais été prévenue des dangers de notre expédition ; j’en avais accepté et cru comprendre les risques ; cependant ces tombes me firent un moment frissonner, et, pour la première fois, je jetai un regard de regret vers la France, vers la famille, les amis, le beau ciel, la vie douce et facile que j’avais quittée pour les hasards d’une pérégrination si dangereuse ! Quant à ces pauvres morts que j’avais sous les yeux, leur histoire était la même pour tous. Ce n’étaient ni des savants excités par l’amour des découvertes, ni des curieux poussés par l’attrait de l’inconnu ; c’étaient d’honnêtes pêcheurs norwégiens, russes ou hollandais, venus là pour chercher, au milieu des plus rudes travaux, des dangers les plus certains, la subsistance de leur famille.

D’abord tout allait bien pour eux : les morses étaient nombreux, les phoques faciles à atteindre ; on les chassait avec succès, on faisait de l’huile sur la côte même, on embarquait les grandes dents d’ivoire vert des morses, si estimées en Suède, on parlait du prix de la cargaison, et des profits, et des joies du retour. Puis tout à coup un froid inattendu survenait ; l’hiver les avait saisis inopinément, la mer s’était immobilisée autour de leur petit navire, la route de la patrie était fermée, fermée pour neuf mois, pour dix mois peut-être ; dix mois en pareil lieu, c’est presque un arrêt de mort. Ainsi, ils se trouvaient exposés à subir quarante-cinq degrés de froid au milieu d’une nuit perpétuelle ! Quels drames ont vus