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AU SPITZBERG.

matelots de l’équipage, vous n’avez pas plus d’esprit et de coup d’œil que ça ! Sur un point, je suis de votre avis : on a peut-être eu tort d’embarquer cette petite dame, mais c’est pour elle que ça peut être malheureux ; pour nous, c’est très-heureux, et plus heureux, si nous hivernons dans ce chien de pays, que si nous nous en tirons.

— Comment cela ? dirent les matelots.

— C’est bien simple ; je vais vous l’expliquer. Elle est faible, elle est délicate, n’est-ce pas ? Tant mieux ! Ce serait elle qui partirait la première si on était pris ? Tant mieux encore. Tout ça, c’est autant de raisons pour nous la rendre précieuse. Le plus dangereux dans les hivernages, voyez-vous, le plus difficile à éviter, c’est la démoralisation de l’équipage. Le capitaine Parry raconte que c’est contre le découragement de ses hommes qu’il eut surtout à lutter ; il dit dans sa relation combien il redoutait encore plus la faiblesse des esprits frappés d’épouvante que les rigueurs horribles du climat. Eh bien ! nous autres, ici, nous n’aurions rien à craindre de cette démoralisation si nous parvenions à conserver la vie de la jeune femme ; on dirait aux hommes qui molliraient : « Allons donc, n’avez-vous pas honte ? Le froid n’est pas encore trop dur, vous voyez bien, puisqu’une femme le supporte. » Et, je vous le dis, il faudrait tout faire pour conserver la vie de la petite dame ; sa présence au milieu de nous serait le courage et la santé de l’équipage ; du reste, le capitaine pense juste comme moi là-dessus, et il le disait l’autre jour au premier lieutenant en se promenant avec lui.