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VOYAGE D’UNE FEMME AU SPITZBERG.

— Ah ! si le capitaine l’a dit, reprirent les matelots, alors c’est vrai. »

J’en avais assez entendu ; je me glissai doucement chez moi, dans la crainte d’être aperçue, et assurée que désormais, si la redoutable conjoncture d’un hivernage nous était destinée, l’égoïsme bien entendu de mes compagnons de voyage m’apporterait tout le secours nécessaire pour retarder ma mort autant que possible. Au reste, je regardais ma mort comme certaine, dans le cas où nous aurions été pris, à cause du malaise dont j’étais atteinte, malgré les soins qui m’étaient prodigués. J’occupais à bord l’appartement du capitaine, et il avait eu l’extrême bonté, en me le cédant, de le faire aménager de la façon la plus commode et la plus chaude : on avait couvert le plancher de plusieurs peaux de rennes, on avait hermétiquement fermé tous les hublots, on avait comblé le lit d’édredon ; c’était, à vrai dire, bien plus un nid qu’une chambre, et un nid où il y avait seulement la place, et à grande peine. Eh bien ! malgré toutes ces excellentes précautions, je souffrais beaucoup du froid, et j’étais parfois obligée de me relever la nuit pour faire de l’exercice afin de me réchauffer. Ajoutez que je dormais à peine ; je ne me couchais jamais avant deux ou trois heures du matin, et souvent même, à cette heure avancée, je ne pouvais trouver du repos. Ce jour continuel, ce ciel bizarre, invariable, ne subissant aucune modification à l’heure où nous avons coutume de le voir se couvrir d’ombres ; minuit devenu le frère jumeau de midi ; l’étrangeté de tout ce qui m’entourait, l’âpreté du climat, le bouleversement de toutes mes habitudes, et