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AU SPITZBERG.

— Et si le banc est formé, que ferons-nous ? »

Le capitaine ne me répondit pas et donna l’ordre à la chaloupe de partir. Je la suivis des yeux avec anxiété ; je vis les hommes nager avec ardeur, tourner les grosses glaces, passer entre les plus petites, puis disparaître enfin dans ce champ d’îles flottantes. Au bout d’une heure ils étaient de retour ; ils avaient vainement essayé de sortir de la baie, il n’existait aucun passage ; ce froid, dont on ne se méfiait pas, avait été suffisant pour souder les glaces et en faire un infranchissable mur de rochers. Quoiqu’un marin se fasse une habitude de dissimuler ses impressions fâcheuses, le capitaine devint soucieux en écoutant le rapport des matelots ; quant à moi, mon cœur se serrait, et pour la première fois l’effroi m’entrait dans l’âme :

« Et nos voyageurs ! m’écriai-je ; comment vont-ils revenir ?

— C’est ce qui me préoccupe, dit le capitaine ; ils n’ont que deux jours de vivres ; c’est une imprudence.

— Et ils sont sur des chaloupes non pontées, exposés au froid, à la neige ; mon Dieu ! capitaine, cela peut devenir affreux ; que comptez-vous faire ?

– Tirer demain quelques coups de canon sur tout cela, et tenter d’y faire une trouée ; du reste, nous verrons ce que fera le vent cette nuit. »

Le capitaine demeura silencieux, se promenant de long en large sur le pont, sa lunette à la main, interrogeant à chaque instant le ciel et la mer. Pendant de longues heures rien ne changea d’aspect ; les pointes aiguës des glaces déchiraient çà et là l’épais