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VOYAGE D’UNE FEMME

voile de brume qui s’abaissait sur nos têtes, mais restaient immobiles ; mon cœur était plus triste encore que ce lugubre horizon, et je fis alors mes premières réflexions sur notre témérité, d’être venus exposer notre vie dans ces affreux parages, où tout incident est une catastrophe, où un changement de vent, un léger abaissement du thermomètre, peuvent apporter la mort !

Un vent qui avait toutes les allures d’un ouragan s’éleva vers minuit ; le vieil Océan secoua avec fureur sa crinière blanche d’écume ; d’énormes vagues se précipitèrent sur les glaces ; le banc craqua avec un grand bruit et se disjoignit ; jamais plus terrible tumulte ne causa une impression plus joyeuse ; la baie était libre, les chaloupes pouvaient rentrer !… Elles arrivèrent quelques heures après, et le danger qu’elles avaient couru leur prépara une réception doublement cordiale.

Le lendemain de ce jour, des hommes de l’équipage furent chargés de graver profondément, sur un gros rocher placé près de la côte, la date de notre arrivée, le nom de la corvette et celui de toutes les personnes faisant partie de l’expédition ; on me fit l’honneur de me mettre en tête de la liste, et si mon nom n’était pas le plus remarquable de tous, il était à coup sûr le plus étonnant à trouver dans un pareil lieu. Cette simple inscription, ne contenant que des noms et des dates, est bien loin du style emphatique de certains voyageurs ; si Regnard fût parvenu jusqu’au nord du Spitzberg, on ne peut imaginer ce qu’il aurait inscrit sur ce rocher ; il aurait probablement eu la prétention d’être sorti des limites du monde, lui