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AU SPITZBERG.

brouillard, et Abo refusait de continuer la route avant que le temps fut devenu meilleur. Il nous fallut attendre, et attendre dans les conditions les plus insupportables. Le brouillard s’éclaircit seulement vers midi, et on put plier la tente.

À peine avions-nous fait un mille, nous nous trouvâmes au bord d’une rivière de très mauvaise physionomie : elle courait rapidement sur de grandes pierres plates inégalement superposées, formant une sorte d’escalier interrompu de temps en temps par des trous en entonnoirs ; les berges, faites des mêmes pierres, étaient très hautes et coupées de fentes énormes. Les chevaux, voyant ce mauvais bord et au fond ce cours d’eau large et violent, ne voulurent pas avancer ; on fut près d’une heure à faire passer le premier ; les autres suivirent sans difficulté. Je me réjouissais de nous voir tirés sans catastrophe de ce difficile passage, quand je m’aperçus que je venais de perdre sur la rive opposée l’innocent poignard qui n’avait pas quitté ma ceinture dans toutes mes pérégrinations. Je tenais beaucoup à ce poignard ; j’aimais à me figurer qu’il pourrait m’être utile ; il me faisait contenance : c’était un compagnon silencieux et fidèle, dont la vue m’entretenait dans l’illusion que je saurais me défendre en cas d’ours ou de loup ; j’étais bien tentée de traverser la rivière pour aller le chercher, mais à mes premiers mots le guide jeta les hauts cris, s’opposa à mon projet, et il fallut continuer ma route. Mon cher poignard gît donc dans une solitude laponne ; s’il est ramassé et s’il retourne dans des mains civilisées, il pourra offrir un vaste champ aux conjectures des antiquaires ; comment