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VOYAGE D’UNE FEMME

qu’il ne retira pas. Le pauvre renne eut deux convulsions et tomba sur le côté : il était mort. Cet affreux petit drame, que j’avais regardé presque malgré moi, avait duré moins de temps qu’il ne vous en faut pour le lire. Le renne mort, le Lapon l’écorcha avec une dextérité surprenante, puis il le dépeça de manière que rien ne fût perdu : il fit couler le sang dans des jattes de bois, et on le mit à part pour la famille ; la chair, proprement coupée par quartiers, nous fut remise, et les femmes emportèrent soigneusement les tendons, les os et la peau. On procédait à ces opérations en présence de nombreux et attentifs spectateurs, je veux parler des chiens qui, rangés en cercle à distance respectueuse, montraient leurs crocs aigus et battaient leurs flancs maigres de leurs longues queues ; leur attente ne fut pas trompée : on leur abandonna les entrailles, qui disparurent en un clin d’œil.

Cette première acquisition terminée, j’entamai une seconde négociation pour acheter un de ces chiens lapons, à la fois si sauvages et si bien dressés. Je savais qu’il n’en existait aucun en France, même au Jardin des Plantes, et j’aurais aimé posséder à Paris un animal aussi rare. Mon projet rencontra des obstacles infinis ; la cession d’une province n’aurait pas soulevé, dans un congrès, les orages que souleva la vente de ce chien. Si les Lapons, par un motif de prudence matérielle, ne veulent pas se défaire de leurs rennes, ils refusent absolument de se séparer de leurs chiens ; ce n’est pas par affection, car ils sont loin de leur être attachés comme on pourrait le supposer ; la familiarité souvent tendre du paysan et