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AU SPITZBERG.

vent le petit monticule, inconsistant comme une éponge, se dérobait sous le pied ; alors on enfonçait dans l’eau, et on s’en tirait comme on pouvait. Tous les chevaux furent déchargés et on entreprit de porter le bagage à dos d’homme ; mais quelles complications ! les hommes tombaient avec leur charge ; les chevaux, plus lourds, ne trouvaient aucun point solide et disparaissaient dans la boue. On ne peut se faire une idée de nos peines pour parvenir à sauver ces pauvres animaux. Au milieu d’un pareil conflit, on s’occupait peu de moi ; je suivais à grand peine notre troupe ; à chaque instant je perdais l’équilibre : je barbotais et m’enfonçais dans cette horrible terre liquide. Mes bottes de postillon alourdies par la boue devinrent des masses impossibles à soulever ; la fatigue m’accablait, la pluie m’aveuglait ; je crus bien ce jour-là que je ne pourrais pas aller plus loin ; à bout d’efforts, mouillée jusqu’aux os, voulant encore avancer et ne le pouvant plus, il m’arriva vingt fois de tomber épuisée, la sueur au front, la rage au cœur, pleurant dans une indicible angoisse en voyant ce révoltant triomphe de la matière sur la force morale. « Ainsi, me disais-je, il y a ici lutte entre le plus vil des obstacles, la boue et moi ! je réunis toute mon énergie, toute ma volonté, et c’est le marais qui l’emporte ! » J’étais aussi exaspérée qu’anéantie ; arrangez cela !

Si nous sortîmes enfin de ces abîmes fangeux, nous le dûmes à Abo ; il fut admirable de persévérance, d’activité, de calme, de coup d’œil : plus alerte qu’un chien de chasse, il sondait en vingt endroits différents presque en même temps, pour voir