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AU SPITZBERG.

chargés de feuilles teintes par l’humidité de l’automne en orange et en rouge vif ; de loin en loin on voyait, perçant la couche de mousse, de grosses pierres arrondies, les unes rougeâtres, les autres d’un beau gris lilas ; nulle part on n’apercevait une tache de verdure. Cet horizon jaune, noir, rouge, lilas, faisait l’effet le plus singulier ; c’était une nature artificielle, impossible, un paysage de porcelainier chinois en humeur d’extravagance ; on brode de pareilles choses sur des écrans, on en rêve parfois, mais on n’en voit jamais.

Notre troupe reposée se mit en marche à travers cette fantaisie du bon Dieu, et pendant quelques heures tout alla bien, mais peu à peu les plis du terrain prirent de plus grandes proportions, et nous eûmes à parcourir un long feston de petites collines. Ce fut alors bien vraiment un voyage par monts et par vaux : les monts me paraissaient charmants, ils étaient secs et couverts de bons taillis de broussailles très agréables à nos chevaux ; quant aux vaux, c’étaient encore et toujours les épouvantables marais : tout recommença, y compris la pluie, et il fallait descendre à chaque instant. C’était toujours un moment odieux pour moi que celui où je remontais à cheval, après avoir traversé un marais : ma selle était trempée d’eau, tout le harnachement de mon cheval était devenu, non du cuir, mais une matière molle, glacée, visqueuse, du contact le plus repoussant.

Vers la fin de ce jour, nous rencontrâmes un immense marais, je dirais un lac, si l’eau en eût été claire ; mais elle était vaseuse, noirâtre, épaisse,