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VOYAGE D’UNE FEMME AU SPITZBERG.

avec une physionomie perfide et une barbe emmêlée de roseaux fort effrayante. Essayer de traverser au hasard, c’eût été risquer la vie de tout le monde ; il fallut se résigner à côtoyer ce sombre lac pendant deux heures, puis Abo désigna un passage, et on s’engagea, bêtes et gens, dans la vase ; on y barbota, on s’y épuisa, on but l’eau noire, on s’y noya presque. Enfin, Dieu aidant, on en sortit ; mais dans quel état !… Vous me trouvez bien monotone, n’est-ce pas ? Que voulez-vous, je vous peins la Laponie telle qu’elle est !

En dépit des fatigues et des accidents, nous arrivâmes pourtant un soir au bord de l’Alten ; la vue d’un grand beau vrai fleuve après nos horribles marais nous réjouit, et sans crainte on tenta la traversée. À l’endroit désigné par Abo, le fleuve n’était pas plus large que la Seine et se trouvait guéable pour les chevaux dans plusieurs places ; en outre, au milieu du fleuve, une île couverte de cailloux roulés nous offrait un point de repos pour faire souffler nos chevaux. Malgré nos soins ils fatiguèrent beaucoup : car, comme notre troupe se composait de onze personnes, chaque cheval dut traverser trois fois le fleuve. Pour ma part, j’avoue avoir éprouvé un sentiment d’inquiétude lorsque je me sentis livrée à la force et à l’instinct de mon cheval au milieu de ce large courant.

De l’autre côté de l’Alten, nous trouvâmes un meilleur terrain, et, après avoir rapidement franchi quelques lieues, nous fîmes l’agréable rencontre d’un pin ; c’était le premier depuis Kaafiord : il était la constatation de tout le chemin que nous avions