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AU SPITZBERG.

disposées ; les rues donc sont balayées comme nos chambres à coucher ; pour qu’aucun accident ne vienne porter atteinte à cette rigoureuse propreté, les animaux ne dépassent pas les barrières de la ville. Quant aux maisons, figurez-vous absolument ces joujoux de Nuremberg qu’on nous donnait au jour de l’an dans de grandes boites : des maisons correctes, proprettes, peintes à l’huile, de couleurs brillantes ; vert clair, lilas, bleu de ciel, rehaussées de filets tranchant sur le fond ; à Brouk, quelques-unes ont des filets d’or autour des fenêtres. Au milieu de chaque maison on voit une jolie porte ornée et sculptée souvent avec des guirlandes et des médaillons dans le goût de Louis XV ; cette porte reste hermétiquement fermée ; la coutume du pays ne permet de l’ouvrir que dans trois circonstances solennelles : le baptême, le mariage ou la mort d’un des maîtres du logis. On a une autre porte basse, masquée, discrète, ouvrant sur une ruelle, dont on se sert pour les usages journaliers.

À Brouk, il est convenable de dissimuler son existence le mieux possible ; on n’avoue demeurer dans sa maison que si on y est absolument forcé par un événement de quelque importance, comme de venir en ce monde ou d’en sortir. Le reste du temps, on s’efface et on s’amoindrit à dessein. Je n’ai pu voir l’intérieur d’une maison, parce qu’on me proposa, sans rire, de me déchausser pour entrer.

Dans ce fantasque pays, on assiste à un curieux renversement de l’ordre on y voit l’homme soumis aux choses, l’être intelligent et animé esclave de la matière inerte ; il y a là des gens qui se gênent, se privent, s’immobilisent pour ne pas mar-