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AU SPITZBERG.

ville déserte, ses cloches muettes, son peuple morne ; pourquoi la mort lui vient-elle avant la vieillesse ? Elle est dépeuplée, attristée, elle n’est pas en ruines ; tout est jeune, gai, vivant, sur la rive droite de la Torneä ; tout est, sur la rive gauche, désert et immobile.

Il en est de l’existence des villes comme de celle des hommes : leur durée tient à des causes mystérieuses. À chaque minute du jour la vie d’un homme s’achève et celle d’un autre commence ; à un moment marqué sur l’horloge de l’éternité, une ville s’éteint et une autre s’élève ! Et j’ai vu Torneä au commencement de l’automne, lorsque le soleil lui apportait encore un peu de vie et de clarté ; mais pendant le sombre et rigoureux hiver, c’est bien pire. Voici ce qu’en dit Maupertuis :

« La ville de Torneä, lorsque nous y arrivâmes le 30 décembre, offrait véritablement un aspect affreux ; ses maisons basses se trouvaient enfoncées jusqu’aux toits dans la neige, et le jour n’aurait pu pénétrer dans la neige, s’il y avait eu du jour ; mais les neiges tombant toujours ou près de tomber ne permettaient presque jamais au soleil de se faire voir, même au midi, pendant les quelques moments qu’il paraît à l’horizon.

« Le froid fut si grand dans le mois de janvier, que nos thermomètres de mercure, de la construction de Réaumur, descendirent à 37° ; ceux d’esprit-de-vin gelèrent. Lorsqu’on ouvrait la porte d’une chambre échauffée, l’air extérieur convertissait sur-le-champ en neige la vapeur qui s’y trouvait, et en formait de gros tourbillons blancs. Lorsqu’on sortait, l’air déchirait la poitrine ; nous étions avertis