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VOYAGE D’UNE FEMME

égrené sur la rive droite du fleuve ; Torneä montre des murailles grises, épaisses, discrètes, dépassées d’espace en espace par de lourdes charpentes rougeâtres, par des clochers ou des dômes couverts de plomb, surmontés de croix de fer. D’un côté, un jardin plein de kiosques ; de l’autre, une nécropole.

Le contraste se complète si on visite l’intérieur des deux villes ; je venais de quitter Haparanda, où tout était mouvement et bruit ; c’était jour de marché, les rues s’emplissaient de jeunes Suédoises vêtues de jupons bleus ou rouges, le cou orné de chaînes d’argent, portant sur leurs têtes des corbeilles où s’entassaient de beaux poissons, du gibier, des légumes ; les jeunes garçons allaient et venaient, promenant des chevaux, des vaches, des porcs, des moutons ; tout ce monde occupé, achetant, vendant, causant, riant, formait une mêlée active et joyeuse. À Torneä, je vis des rues solitaires, où l’herbe cachait les pierres ; des maisons hermétiquement fermées ; de temps en temps, sans bruit, s’ouvrait une porte garnie de fer pour livrer passage à une ombre enveloppée d’un manteau de laine noire, la tête cachée sous un bonnet pointu ; pas un mot n’était prononcé, si une ombre en rencontrait une autre : on eût dit autant de fantômes, habitants de lourds tombeaux que surmontait cette forêt de croix et de cloches. Cloches muettes, du reste, car jamais je ne vis tant de cloches ni un lieu plus silencieux : ce silence était si profond que j’entendais dans les rues le bruit de mes pas, et le froissement de ma robe ; j’ai erré ainsi plusieurs heures dans cette cité qui se meurt, me demandant quelle volonté inconnue a rendu cette