Page:Aunet - Voyage d’une femme au Spitzberg, 1872.pdf/73

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
61
AU SPITZBERG.

le disait libéral comme un Turc, discret comme un Espagnol, adroit comme un sauvage, menant ouvertement sa vie de méfaits aventureux, sans craindre ni Dieu, ni diable, ni gendarmes, rançonnant les châteaux, secourant les chaumières, n’ayant jamais oublié ni une injure ni un service, et déployant dans sa croisade incessante contre la société plus d’énergie et d’inventions qu’il n’en faudrait pour illustrer dix généraux ou enrichir dix romanciers ; un de ces hommes enfin auxquels il a manqué un théâtre pour changer leurs crimes en actions glorieuses, et qui se font brigands, ne pouvant être héros.

Ouli-Eiland avait été emprisonné six fois et était toujours parvenu à s’évader. La dernière fois, la septième, pour réussir à s’emparer de lui, on avait dû cerner près d’une lieue de forêt, on avait fait le blocus de son gîte, et alors, au bout de plusieurs jours d’affreuses souffrances, cette force qui vient à bout des plus terribles et qui soumet tout, même les loups, comme dit le proverbe, la faim, le fit sortir de son bois. On le saisit, on le garrotta, on le conduisit à Christiania. Là, on le jugea, et, comme il n’y eut pas d’assassinat prouvé, il fut condamné à la prison perpétuelle dans la citadelle de Christiania.

Le gouverneur de la forteresse se le fit amener ; il demeura surpris de voir ce grand jeune homme blond, mince, paisible, portant déjà une si lourde célébrité ; cependant, en homme d’observation, il démêla un reste de noblesse sur ce front uni, un reste de loyauté dans ces yeux clairs et hardis.

« Tu t’es évadé jusqu’à présent de toutes les prisons où on t’a mis, dit le gouverneur ; conséquem-