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AU SPITZBERG.

bles ; on y prend deux chevaux de renfort pour tenter les pentes escarpées du Dovre, puis on s’enfonce dans ses gorges redoutables. Alors la végétation cesse ; le printemps, qu’on a vu s’épanouir vingt lieues plus bas, disparaît et fait place à l’hiver ; pas une feuille aux arbres, pas un coin de terre égayé par l’herbe verte, et nous sommes en juin ; des buissons noirs et hérissés bordent la route, et quelques arbres rabougris se pelotonnent sous leur enveloppe de neige. De temps en temps des troncs d’arbres tortueux, tombés en travers de la route, nous barraient le passage ainsi que d’énormes serpents, et de grosses pierres verdâtres, à moitié cachées dans des mares d’eau bourbeuse, me paraissaient être de monstrueux crapauds. Un moment je crus apercevoir au milieu de la route un spectre à demi sorti de son linceul, allongeant de chaque côté ses grands bras décharnés ; c’était un bouleau dont le tronc était encore enseveli sous la neige et dont les branches noircies s’étendaient vers nous.

Ces gorges ont des aspects d’un lugubre très-varié ; quelquefois nous passions des défilés étroits, entre des pans de neige de plus de cinquante pieds de haut ; puis, la route s’élargissant, nous voyions bondir de toutes parts des cascades si nombreuses et si effroyablement bruyantes que, quelle que fût la manière dont on criât, il était impossible de s’entendre les uns les autres. Le pâle crépuscule du Nord glissait ses lueurs ternes et incertaines sur ces sombres tableaux et y ajoutait je ne sais quelle mystérieuse horreur. Pendant quelques lieues, je pus me borner à observer tout à mon aise et me