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Page:Aurel - Le nouvel art d'aimer, 1941.djvu/94

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LE NOUVEL ART D’AIMER

alors dans son Journal : « Je suis la plus malheureuse des femmes. Pauvre petite que je suis, dit-elle une autre fois. Je me sens à demi enterrée dans un état intermédiaire entre la vie et la mort. »

Ce Journal est accablant pour Carlyle.

« Elle ne l’a jamais aimé », dit un commentateur. Paroles d’homme. Comment aimerait-on un pareil sanglier ? À mon sens elle fut à lui par admiration pour l’artiste, puisque même si mal traitée, elle soigna toujours en lui sa valeur tandis qu’il ne lui a pas fait sa part. Elle fut donc une immolée, détruite dans sa faible santé par des travaux au-dessus de ses forces, infligés par celui qui avait mission de la protéger.

C’est pourquoi les commentateurs superficiels la trouvèrent maussade (!). C’est ainsi que l’on juge les victimes. Fine comme elle était et portée à se dévouer, respectant comme elle fit le génie de Carlyle, elle s’y fut certes attachée s’il avait été bon ou seulement normal. Mais il ne fut que « grognements, » écrit-elle à John Sterling. Elle mourut donc la première. Il avait tout gâché. Et le remords écrasa l’écrivain qui sortit soudain de l’inconscience par les larmes.

Écoutons-le déclarer à la mort de sa femme : « Sa vie auprès de moi ne fut qu’un long stoïcisme sans joie. Elle toujours bonne et aimable se lève mourante pour me jouer les chansons écossaises », le cahier de Thomson, Carlyle entrevoit ce qu’il n’avait pas su voir : « Hélas, dit-il en la perdant, J’ai été aveugle, j’aurais dû voir comme était brillant mon soleil ! » Il avait des œillères. Il travaillait c’est tout et ne croyait pas devoir autre chose à