Page:Austen - Emma.djvu/12

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

d’avec ses amis Woodhouse était, en effet, l’unique inconvénient de cette union, encore se trouvait-il fort atténué par le voisinage si proche et les dispositions conciliantes de M. Weston.

Le bonheur de Mme Weston était si manifeste qu’Emma, malgré sa connaissance du caractère de son père, ne pouvait entendre sans surprise celui-ci parler de « cette pauvre Mlle Taylor » au retour d’une visite à Randalls, où ils la laissaient entourée de tout le confort possible. Quand au contraire, Mme Weston venait à Hartfield, au moment où elle montait en voiture, accompagnée de son aimable mari, pour rentrer chez elle, M. Woodhouse observait invariablement : « Pauvre Mlle Taylor ! Je suis sûr qu’elle resterait bien volontiers. »

Néanmoins au bout de quelque temps M. Woodhouse surmonta son chagrin ; ses voisins avaient épuisé leurs compliments et il n’avait plus l’ennui de s’entendre journellement féliciter d’un si lamentable événement. D’autre part l’imposant gâteau de noces était enfin fini ; cette pâtisserie symbolique lui avait causé bien des tourments : il était lui-même astreint à un régime sévère et il ne mettait pas en doute qu’un aliment nuisible pour lui, ne fût malsain pour les autres, en conséquence après avoir en vain essayé d’empêcher la confection d’un gâteau de ce genre, il n’avait cessé de s’opposer à ce qu’on y touchât, il prit la peine de consulter son médecin à ce sujet ; pressé de questions M. Perry fut contraint de se prononcer :

« Ce pouvait être considéré comme indigeste pour la plupart des gens, peut-être même pour tout le monde, à moins pourtant qu’on en mangeât avec une extrême modération. » Fort de cette opinion, M. Woodhouse espérait influencer tous ceux qui viendraient rendre visite aux nouveaux mariés : malgré ses avis, le gâteau eut du succès et devint pour lui une cause continuelle d’énervement.

Par la suite, le bruit courut dans Highbury que les enfants Perry avaient été vus avec une tranche du susdit gâteau à la main, mais M. Woodhouse ne voulut jamais y ajouter foi.


(À suivre)