Page:Austen - Emma.djvu/240

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— D’autre part, ajouta M. Knightley, soyez sûre que Mme Elton, pour parler à Jane Fairfax, renonce à son ton d’humiliante protection. Nous savons tous, par expérience, combien diffère le langage selon qu’on emploie la troisième ou la seconde personne : nous sentons la nécessité de plus grands ménagements dans nos rapports directs avec nos semblables ; nous gardons pour nous, en présence de l’intéressé, les conseils que nous ne lui ménagions pas une heure auparavant. De plus, en dehors de cette règle générale, Mlle Fairfax tient Mme Elton en respect par sa supériorité d’esprit et de manières ; je ne doute pas qu’en tête à tête, Mme Elton ne traite son invitée avec toute la considération voulue.

— Je sais, dit Emma, quelle haute opinion vous avez de Mlle Fairfax.

— Oui, reprit-il, je ne cache pas combien je l’estime.

Emma hésita un instant avant de répondre, mais le désir de savoir de suite à quoi s’en tenir l’emporta ; elle dit avec vivacité et le regard dur :

— Je ne sais pas si vous êtes vous-même conscient de la force de ce sentiment : un jour ou l’autre vous pourriez être conduit à passer la frontière de l’admiration !

M. Knightley était à ce moment occupé à rattacher les boutons de ses épaisses guêtres de cuir ; il se releva, le sang aux joues, et répondit :

— En êtes-vous là ? Vous arrivez en retard ; il y a six mois M. Cole a déjà fait allusion à cette éventualité devant moi.

Il s’arrêta. Emma sentit le pied de Mme Weston s’appuyer sur le sien. Un instant après M. Knightley continua :

— Mlle Fairfax ne voudrait pas de moi si je la demandais en mariage, et je suis parfaitement sûr que je ne la demanderai jamais.


(À suivre.)