Voici deux mois que chacune de vos lettres à Isabelle contient le récit de quelque fête : dîner chez M. Cole ou bal à la Couronne. Du reste, depuis l’installation des Weston à Randalls, votre manière de vivre a subi un grand changement.
— Oui, reprit vivement son frère, c’est Randalls qui est la cause de tout.
— S’il en est ainsi, comme l’influence de Randalls ne diminuera pas, je suis en droit de supposer qu’Henri et John pourront devenir une gêne. Dans ce cas, je vous en prie, expédiez-les moi.
— Non, reprit M. Knightley, ce n’est pas une conséquence nécessaire ; qu’on les conduise à Donwell. Moi, j’ai toujours du loisir.
— Sur ma parole, Monsieur Knightley, s’écria Emma, vous m’amusez vraiment ! Je voudrais bien connaître les fêtes auxquelles je prends part sans que vous y soyez convié de votre côté. Ces extraordinaires invitations se réduisent du reste à un dîner chez les Cole et à l’élaboration d’un bal qui n’a jamais eu lieu ! Je ne suis pas étonnée que votre frère, ayant par hasard rencontré à Hartfield, au cours d’un voyage de vingt-quatre heures, nombreuse compagnie, ait trouvé dans cette coïncidence, matière à réflexion et à critique. Mais vous, M. Knightley qui savez combien rarement je m’absente plus de deux heures d’Hartfield comment pouvez-vous prétendre que je passe ma vie dans les plaisirs ? Quant à mes chers petits neveux, si la tante Emma n’a pas de temps à leur consacrer, je ne sais ce qu’il adviendra d’eux : l’oncle Knightley, en effet, est dehors la plus grande partie de la journée et quand il est chez lui il s’absorbe dans ses lectures et dans ses comptes.
La repartie d’Emma faillit dérider M. Knightley, mais il s’efforça de conserver un air grave ; il y réussit sans peine grâce à l’intervention de Mme Elton qui, à ce moment précis, se pencha vers lui pour entamer une conversation.