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XXXVII


Quelques instants de réflexion suffirent à Emma pour la tranquilliser sur la nature de l’agitation que lui avait causée la nouvelle de l’arrivée de Frank Churchill ; son trouble ne provenait pas de l’état de son propre cœur, mais bien de l’appréhension qu’elle ressentait touchant les sentiments du jeune homme : celui-ci reviendrait-il aussi amoureux ? Si une absence de deux mois n’avait pas diminué cet attachement, Emma se rendait compte des dangers que courrait son repos. Elle espérait néanmoins, grâce à une attitude d’extrême réserve, éviter une déclaration formelle ; ce serait une si pénible conclusion à leurs relations !

Emma fut bientôt à même de se former une opinion. Frank Churchill ne tarda pas en effet à venir faire une première et brève visite. Il ne pouvait disposer que de deux heures ; de Randalls il se rendit directement à Hartfield et Emma put l’observer tout à son aise : il parut très heureux de la revoir, mais elle eut l’impression immédiate qu’il revenait moins épris. Il était dans ses meilleurs jours, tout disposé à parler et à rire et se plut à évoquer les souvenirs de sa dernière visite ; cependant son calme habituel lui faisait défaut : il était agité, nerveux et au bout d’un quart d’heure il se leva :

— J’ai aperçu, dit-il, un groupe d’amis, en traversant Highbury ; je ne me suis pas arrêté, mais j’ai la vanité de croire qu’on serait désappointé si je ne faisais pas une visite. Malgré mon désir de rester plus longtemps à Hartfield, je me vois donc forcé de prendre congé.

Emma fut un peu surprise mais elle imagina, pour expliquer ce brusque départ, une hypothèse satisfaisante : « Il veut éviter, pensa-t-elle, de se reprendre à mon influence ; l’absence et le sentiment de mon indifférence ont fait leur œuvre, mais il ne peut encore surmonter le trouble que ma présence lui cause. »

(À suivre.)