Page:Austen - Emma.djvu/348

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je dois ajouter : avec la plus profonde humiliation ; les paroles qui lui sont échappées hier à ce sujet m’ont fait connaître son opinion ; je mérite ses reproches. Ma conduite envers Mlle Woodhouse pouvait prêter, je le reconnais à des commentaires fâcheux en l’espèce ; peut-être afin d’aider à une dissimulation essentielle, ai-je profité plus qu’il n’était convenable des rapports d’intimité si naturellement établis entre nous dès le début. Je ne puis pas nier que Mlle Woodhouse ne fût ostensiblement préférée ; mais vous pouvez me croire, si je n’avais pas été convaincu de son indifférence, je n’aurais jamais prolongé ce jeu dangereux que me suggérait mon égoïsme. Vive, aimable, gracieuse, Mlle Woodhouse ne m’a jamais fait l’impression d’être une jeune personne d’esprit romanesque et j’avais d’autre part d’excellentes raisons d’être convaincu de sa bienveillante indifférence à mon égard. Elle reçut mes hommages sur un ton d’alerte marivaudage qui me convenait à merveille ; nous paraissions nous comprendre à demi-mot. Dans notre situation relative, ces attentions du reste étaient son dû. Je ne puis dire si Mlle Woodhouse avait des soupçons pendant mon premier séjour à Randalls ; quand je suis allé chez elle pour prendre congé je me rappelle avoir été sur le point de lui confesser la vérité, mais d’après son attitude, elle m’a paru vouloir éviter une explication. De toute façon, depuis longtemps, sa perspicacité avait certainement découvert une partie de la vérité. Je n’en puis douter. Elle m’a souvent fait des allusions voilées à ma situation. J’espère que cet historique sincère sera accepté par vous et par mon père comme une atténuation de mes torts. Pardonnez-moi et obtenez-moi au moment opportun le pardon et les bons vœux de Mlle Woodhouse ; je ressens pour elle une affection fraternelle. Vous avez maintenant une clé pour expliquer ma conduite à Randalls ; mon cœur était à Highbury et tous mes efforts tendaient à trouver les moyens de m’y transporter souvent sans éveiller de soupçons. Si vous avez gardé le souvenir de quelque extravagance, mettez-la, je vous prie, sur le compte de l’amour.

(À suivre.)