Page:Austen - Orgueil et préjugé, 1966.djvu/106

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pour Mme Bennet un sujet intarissable. Elle ne se lassait point de détailler tous les avantages qu’elle trouverait dans cette union. Un jeune homme si beau, si riche…, sa résidence à trois milles de Longbourn…, l’attachement des deux sœurs pour Hélen, preuve irrécusable du désir qu’elles avaient elles-mêmes de cette alliance, furent ses premiers motifs, puis les espérances que cela donnerait à ses autres filles. Hélen, si bien mariée, ne pouvait que faciliter leur établissement. Enfin, combien à son âge il lui serait agréable de pouvoir confier ses enfants aux soins de leur sœur au lieu d’être ainsi obligée de courir le monde. Elle finit par souhaiter à lady Lucas une aussi heureuse rencontre, lui faisant toutefois entendre d’un air triomphant qu’elle ne pouvait guère l’espérer.

En vain Élisabeth voulut engager sa mère à se taire, ou du moins à manifester sa joie avec moins d’éclat, et sa peine en fut d’autant plus vive, qu’elle s’aperçut que M. Darcy, assis en face, pouvait entendre une partie de ses confidences. Elle le dit à Mme Bennet, qui, loin de l’écouter, lui répondit avec humeur :

« Je me soucie bien de M. Darcy ; pourquoi, je vous prie, craindrais-je de l’offenser ? Si ce que je dis ne lui convient pas, il peut se boucher les oreilles.

— Pour Dieu, maman, parlez plus bas ; pensez-vous qu’offenser M. Darcy soit un sûr moyen de plaire à son ami ? »

Mais tout ce qu’elle put dire fut sans effet, Mme Bennet n’en continua pas moins son discours. Élisabeth rougissait et de honte et de chagrin ; chaque regard qu’elle portait vers M. Darcy accroissait son tourment car, encore qu’il ne regardât pas toujours Mme Bennet, elle vit bien qu’il l’écoutait très attentivement : ses traits exprimèrent tour à tour l’indignation et le mépris, puis il prit un air grave et tranquille. À la fin cependant Mme Bennet n’eut plus rien à dire, et lady Lucas qui depuis longtemps s’ennuyait d’entendre parler d’un bonheur qu’elle ne pouvait espérer partager, fut bien aise de pouvoir enfin souper en repos. Élisabeth commençait à respirer, mais