Page:Austen - Orgueil et préjugé, 1966.djvu/105

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pour s’approcher de M. Darcy, dont l’étonnement de se voir ainsi abordé ne put échapper à Élisabeth, attentive à les observer de loin. Son cousin, après deux ou trois révérences au moins, commença un long discours, et bien qu’elle n’en saisît pas un seul mot, il lui semblait l’entendre tout au long, et dans le mouvement de ses lèvres elle lisait à chaque phrase : « Pardon…, pardon très humblement… Hunsford… lady Catherine de Brough… » Elle se trouvait humiliée de le voir s’exposer ainsi aux sarcasmes de M. Darcy ; celui-ci le regardait avec surprise, et lorsqu’enfin M. Colins lui permit de parler, il répondit d’un air si froid et si dédaigneux, qu’Élisabeth en rougit pour son cousin ; mais lui, sans se déconcerter, commença un second discours, auquel M. Darcy ne fit d’autre réponse qu’une légère inclination de tête ; et M. Colins étant revenu joindre Élisabeth :

« Je n’ai nulle raison, lui dit-il, d’être mal satisfait de l’accueil que j’ai reçu ; ma civilité a paru le flatter ; il a même daigné s’expliquer, et me dire qu’il connaissait le discernement de lady Catherine ; qu’assurément elle n’accordait sa protection qu’aux personnes qui la méritaient : pensée fort juste ! Après tout, j’ai sujet d’être content de lui. »

Élisabeth n’ayant plus aucun intérêt personnel qui pût l’occuper, son attention se porta tout naturellement vers Hélen et Bingley, et les réflexions agréables que ses observations sur eux firent naître, la rendirent presque aussi heureuse qu’Hélen. Elle se la représentait jouissant à Netherfield de tout le bonheur que peut offrir un mariage bien assorti, et sentit que dans un pareil moment elle pourrait elle-même éprouver quelque espèce d’amitié pour les deux sœurs de Bingley.

La même pensée occupait Mme Bennet ; Élisabeth s’en aperçut et, dans la crainte d’en trop entendre, s’éloigna d’elle. Ce fut donc pour elle au souper une vive contrariété de se trouver placée tout à côté de sa mère, et sa peine ne fit que croître en l’entendant parler ouvertement à lady Lucas, du mariage d’Hélen avec M. Bingley. C’était