Page:Austen - Orgueil et préjugé, 1966.djvu/133

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

« Promise à M. Colins ! ma chère Charlotte, cela est impossible ! »

L’air tranquille dont Mlle Lucas avait fait son récit, ne put tenir contre un reproche si direct, bien qu’elle ne se fût attendue à rien de moins ; mais aussitôt, se remettant, elle reprit avec assurance.

« Pourquoi cette surprise, chère Élisabeth ? Croyez-vous impossible que M. Colins se fasse estimer d’aucune femme, parce qu’il n’a pas eu le bonheur de réussir près de vous ? »

Mais Élisabeth revenant de son premier trouble fit un effort sur elle-même, et l’assura avec calme que l’espoir de l’avoir pour parente lui était fort agréable, et qu’elle lui souhaitait le bonheur le plus parfait.

« Je vois votre pensée, repartit Charlotte, vous devez être surprise et très surprise, en vous rappelant qu’il y a deux jours, c’était vous que M. Colins voulait épouser… Mais lorsque à votre aise vous y aurez réfléchi, ma conduite ne vous paraîtra pas si extraordinaire. Je ne suis point romanesque, vous le savez, je ne l’ai même jamais été : je n’ambitionne qu’un ménage aisé, un chez moi ; et considérant la bonne réputation de M. Colins, ses liaisons et son état, je crois que mes espérances de bonheur sont tout aussi fondées que celles de la plupart des gens qui se marient.

— Sans doute, répondit Élisabeth ; et après un silence embarrassant pour toutes deux, elles allèrent rejoindre le reste de la famille ; Charlotte ne demeura que peu d’instants, et Élisabeth eut alors le loisir de réfléchir à ce qu’elle venait d’apprendre. Que M. Colins dans l’espace de trois jours eût fait deux offres de mariage, cela lui paraissait, il est vrai, une chose bizarre, mais que ses offres fussent acceptées c’était ce qu’elle ne pouvait comprendre ; plus d’une fois elle s’était aperçue que les idées de Charlotte sur le mariage différaient des siennes, mais elle n’aurait jamais imaginé que dans l’occasion, Charlotte eût sacrifié son bonheur intérieur aux avantages de la fortune. Charlotte, la femme de M. Colins, était pour elle une pensée