Page:Austen - Orgueil et préjugé, 1966.djvu/147

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

été cruellement tourmentés depuis la dernière visite de sa sœur ; elle s’était vue au moment de marier deux de ses filles, et ces mariages n’avaient point eu lieu.

« Je ne blâme point Hélen, continua-t-elle, car Hélen aurait épousé M. Bingley si elle l’avait pu ; mais Lizzy ! oh ma sœur ! il est bien dur de penser que, si elle eût été moins entêtée, elle serait maintenant la femme de M. Colins ; il l’a demandée en mariage dans ce même salon où nous voici, et elle l’a refusé ; il s’ensuit que lady Lucas, avant moi, aura une fille mariée, et que la terre de Longbourn est tout autant substituée que jamais. Les Lucas sont, je vous assure, ma sœur, des gens bien rusés, bien hypocrites, ils cherchent toujours qui ils peuvent attraper ; je suis fâchée de le dire, mais c’est la pure vérité, tout cela affaiblit encore mes pauvres nerfs ; on est bien malheureux de se voir ainsi contrariée par sa propre famille, et d’avoir des voisins qui pensent beaucoup à eux, et peu aux autres. Enfin votre visite vient fort à propos, cette consolation m’était vraiment nécessaire, et je suis fort aise d’apprendre ce que vous me dites sur les manches longues. »

Mme Gardener, qui dans sa correspondance avec Hélen et Élisabeth, avait déjà appris une partie de ces nouvelles, répondit fort brièvement, et par compassion pour ses nièces changea de conversation.

Mais quelques moments après se trouvant seule avec Élisabeth elle reprit ce sujet :

« Il paraît que c’était un mariage avantageux pour Hélen ; je suis fâchée qu’il ait manqué, mais ces choses-là arrivent fort souvent. Un jeune homme tel que vous me dépeignez Bingley devient si facilement amoureux d’une jolie femme, et huit jours d’absence suffisent pour la lui faire oublier : on voit cela tous les jours.

— Voilà vraiment un charmant motif de consolation, dit Élisabeth, mais il ne saurait me satisfaire, quoi que vous en disiez ; on ne voit point tous les jours un jeune homme d’une fortune indépendante, se laisser persuader par ses amis qu’il ne doit plus penser à une femme dont, peu de jours avant, il était passionnément amoureux.