Page:Austen - Orgueil et préjugé, 1966.djvu/148

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— Mais cette expression de passionnément amoureux, est si usée, si vague, si indéfinie, qu’elle ne me peut donner une juste idée ; on l’emploie tout aussi souvent pour exprimer une légère fantaisie, née d’un quart d’heure d’entrevue, que pour parler d’un attachement sincère ! Donnez-moi, je vous prie, quelques preuves de cette passion si violente.

— Oh ! de ma vie, je n’ai vu une inclination plus décidée ; M. Bingley ne semblait voir qu’Hélen, nul autre n’obtenait de lui la plus légère attention, et chaque jour ses soins pour elle devenaient plus marqués ; à son bal, il offensa plusieurs femmes, en ne les priant point à danser ; moi-même, deux fois, je lui ai parlé, sans recevoir de réponse ; peut-il exister des apparences plus fortes ? Le manque de civilité n’est-il point une suite de l’amour ?

— Oui ! de cette espèce d’amour qu’il a sans doute éprouvé. Pauvre Hélen ! j’en suis vraiment toute chagrine : avec un caractère comme le sien, elle en peut longtemps souffrir, il eût mieux valu que cela vous fût arrivé, Lizzy, vous vous en seriez, ce me semble, bientôt consolée ; mais pensez-vous que nous puissions l’engager à venir avec nous ? Un changement de décor, lui serait peut-être utile. »

Cette proposition fut fort goûtée par Élisabeth, elle ne douta nullement que sa sœur n’y acquiesçât avec reconnaissance.

« J’espère, ajouta Mme Gardener, qu’aucune considération ayant rapport à ce jeune homme ne l’arrêtera ; nous demeurerons dans un quartier si éloigné du sien, nos liaisons sont si différentes, et comme vous le savez, nous allons si peu dans le monde, qu’il n’est guère probable qu’elle le rencontre, à moins qu’il ne vienne lui-même la voir.

— Et cela est absolument impossible, car il est à cette heure sous la garde de son ami, et jamais M. Darcy ne lui permettrait de visiter Hélen, surtout dans un tel quartier de Londres. Ma chère tante, y pensez-vous ? M. Darcy a peut-être ouï dire qu’il existait une rue nommée Grace-Church, mais si par malheur, il y entrait, il croirait