Page:Austen - Orgueil et préjugé, 1966.djvu/204

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« Il y a déjà quelque temps que je me promène dans cette allée, espérant vous y rencontrer. Voulez-vous me faire l’honneur de lire cette lettre ? », et la saluant très froidement, il rentra dans le bois et fut bientôt hors de vue.

Sans en espérer le moindre plaisir, mais avec la plus vive curiosité, Élisabeth ouvrit la lettre, et sa surprise s’accrut encore en voyant que l’enveloppe renfermait deux feuilles de papier, que couvrait jusqu’au bord, une très fine écriture ; on avait également écrit sur l’enveloppe ; Élisabeth, continuant sa promenade, en commença la lecture ; elle était datée de Rosings, à huit heures du matin et contenait ce qui suit :

« Ne vous alarmez pas, mademoiselle, à la réception de cette lettre, par la crainte qu’elle ne contienne un nouvel aveu des sentiments et des offres qui vous causèrent hier au soir tant de déplaisir. J’écris sans la moindre intention de vous chagriner, ou de m’humilier moi-même, en m’arrêtant à des désirs, qui pour notre bonheur mutuel ne sauraient être trop tôt oubliés ; et la peine que cette lettre coûte à tracer et à parcourir, aurait été épargnée, si ma réputation n’exigeait qu’elle fût écrite et lue. Il faut donc que vous me pardonniez la liberté avec laquelle je demande votre attention ; votre cœur, je le sais, ne me l’accordera qu’à regret, mais je l’attends de votre justice.

« Deux fautes d’une nature bien différente et loin d’être également graves, m’ont été hier au soir par vous imputées ; la première était que sans égard pour leurs sentiments mutuels, j’avais éloigné M. Bingley de votre sœur, et l’autre que malgré les droits les plus sacrés, malgré les lois de l’honneur et de l’humanité, j’avais frustré toutes les espérances et détruit pour un temps le bonheur de M. Wickham. Me brouiller volontairement et sans cause, avec l’ami de mon enfance, le protégé de mon père, avec un jeune homme qui n’avait pour ainsi dire d’autre ressource qu’en notre famille, et qui avait été élevé dans l’idée d’en attendre tout, serait une dépravation à laquelle la séparation de deux jeunes gens, dont l’inclination née de quelques jours de connaissance, se laissait à peine apercevoir, ne saurait être